Jasna Samic

L’AMOUREUX DES OISEAUX
poésie

         

Jasna Samic, née à Sarajevo, vit à Paris où elle écrit en bosniaque 
(serbocroate) et en français. Elle a publié des romans, nouvelles, poésie, pièces de théâtre, essais; elle est aussi metteur en scène et l'auteur de films documentaires.

 

 

L’AMOUREUX DES OISEAUX

Ainsi parlait le Tigre

L’INSCRIPTION PERSANE EN NESH TALIQ SUR LA STELE DU SOUVERAIN

FACE SUD :

O Toi, digne de louanges, ô Roi, ô Victorieux, ô Très Saint! L’Empereur des espaces d’où rayonne la Lumière divine, tel fut Babur !
Par son talent, sa grâce, et son destin victorieux, il gardait son peuple dans la grandeur du bonheur, de l’équité, de la loi et de la puissance. Il conquit le monde des corps, et s’en alla au Ciel, il conquit l’Empire des âmes et devint la lumière du matin.
Ridwan, gardien du Paradis, me demanda : « Quand le Paradis est-il devenu la demeure de l’Empereur ? » Je répondis : « Ferdows dâ’em djâ-ye Babôr Pâdeshâh » ( Le Paradis est la Demeure du Roi Babur).
L’an 937 H.
FACE NORD

O Majestueux, ô Gracieux, ô Lumière, ô Toi qui pardonnes ! Par Ta grâce infinie, au temps où je parviens à la tombe resplendissante du Saint, hôte du Paradis : l’Empereur Zahiruddin Muhammad Babur, Défenseur de la loi, moi Abdulmuzaffar Djalaluddin Muhammad Djahangir, fils de l’hôte des Cieux les plus hauts : l’Empereur Djalaluddin Muhammad Akbar, Défenseur de la foi, j’ai fait élever cette stèle l’an deux de l’avènement.
1016 H (1607)

 

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Le vin n’est-il pas
La demeure de ceux
Qui aiment
Et qui frémissent ?

MOI ROI
MUHAMMAD ZAHIRUDDIN BABUR

QUE CES LIGNES ME RECOMPENSENT !
En ce mardi
Le cinq du mois du Ramadan
Je montais sur le trône
De Ferghana
Sise sur le cinquième climat
Aux confins du monde

Seul le goût de l’aventure
Et de la conquête
M’offrait des villes
Seul me soutenait le désir
De faire à ce monde
L’offrande de son miroir

Mon ciel était toujours de couleur turquoise

Et si je donnais la mort
- Les puissants ne le font-ils pas ? -
Que ces lignes me récompensent !
Qu’elles deviennent des jardins resplendissants !
Semblables à celui que j’ai choisi pour tombe
Bâg-i Vefâ

N’est-ce pas la fidélité
Dont j’ai tant cherché la trace
Et qu’en la traquant tant de pays j’ai vaincus
Je m’inclinais devant les palmiers
M’agenouillais devant les oiseaux
Régnais sur les villes et les eaux
Songeant à Samarkand

N’est-ce pas au Jardin du fidèle
Que je la trouverai
Quand s’apaisera mon sang viril frémissant
Dans les eaux ruisselant de sa belle fontaine
Que le frivole se prosterne sous mon ombre
Que le pur me pardonne
Quand il arrivera dans mon jardin-tombe

Nul de mes fidèles ne pourra me suivre
Vous n’offrirez que des mirages vous
Qui clamerez mon nom vous
Qui me prêterez serment !

Et toi qui désires les conquêtes
Et ressens la puissance dans ton sang
Ne plie pas devant l’échec

Qu’il ne se retourne pas
Celui qui voudrait partir !

 

JE MARCHE AU CIEL A TRAVERS LES PLANTES

Je traverse un long chemin
Pieds nus, je marche et
Ne sens pas la terre
Au ciel, je démbule
A travers les plantes
Mes jambes sont des arbres

Les orages m’offusquent les orages
M’emportent et m’envoûtent
Serpents blottis en moi
Les orages sont mes jalons
Transformé en orage
Je marche et
Les harems m’ouvrent leurs portes

Moi
Roi des eaux
Des jardins et des éléphants
Et du Ciel bleu et vert
Amoureux des oiseaux !

Rana Sangha
Plie devant moi
Kandahar et Nignahar me cèdent
Les montagnes ô miracle !
Sont des ponts
Suspendus entre Ciel et Terre
Au déclin du jour
La terre est ivre
Du feu de mon vin
Et du feu de mes chevaux

Même quand je perds
J’aime

Le troupeau cherche le guide !
Pourquoi se repentir ?

Qu’il ne se retourne pas
Celui qui voudrait partir !

 

DANS LES MONTAGNES DE NIDJRAOU

Dans les montagnes de Nidjraou
J’ai rencontré un écureuil
Un ange
Aux ailes immenses
En plomb

 

L’AMOUREUX DES OISEAUX

A onze ans
Je suis son fiancé
Je l’épouse et
Par pudeur et prudence
Je la vois tous les dix jours
Puis l’amour se dissipe
Et augmente la prudence

Moi, Roi des fleuves
Des plantes des éléphants et des écureuils
Amoureux des oiseaux
Adolescent
Je couvre
D’interminables frissons
Un garçon
Dément
Tête nue
Va-nu-pieds effaré
Traversant des parterres
Jonchés de givre brasillant

Il est mon vin
Eternel clin d’œil
De l’Eternel