Josip Osti

JE CHERCHE PARTOUT UN POEME
poésie

         

Josip Osti est un poète né en 1945 à Sarajevo où il a fait ses études en littérature; il est aussi l’auteur de romans, d’essais, de critiques littéraires, etc.; il a traduit plus de quatre-vingt-dix recueils de poésie et seize pièces de théâtre. Il a écrit et a publié de nombreux ouvrages, surtout poétiques, à la fois en serbo-croate et slovène, alors que lui-même a été traduit dans de nombreuses langues étrangères. Il vit à Tomaj, en Slovénie, en tant qu’artiste libre.

Jasna Samic, née à Sarajevo, vit à Paris où elle écrit en bosniaque 
(serbocroate) et en françait. Elle a publié des romans, nouvelles, poésies, pièces de théâtre, essais; elle est aussi metteur en scène et l'auteur de films documentaires.

 

JE CHERCHE PARTOUT UN POEME

Poèms traduits par Jasna Samic

Je cherche partout un poème… Le cherche depuis ma
Jeunesse. Jour et nuit. Dans mes rêves aussi.
En moi et autour de moi. Dans la lumière et dans l’obscurité.
Dans les voix joyeuses et tristes des humains et des oiseaux.
Dans leur silence empli de sens multiples….
Partout, je cherche un poème… Je le cherche dans les yeux bleus,
verts et noirs de jeunes filles et de femmes,
Au fond desquels je suis couché, comme la plupart
d’elles qui sont couchées en moi, où je suis mort depuis longtemps, mort et oublié….   
Je cherche partout un poème…  je le cherche sous les pierres. Derrière les nuages. Sous mon lit et dans mon lit, où des miracles se passent,
et dans les baisers, qui sont suivis de rires et de larmes, et où naissent à la fois la vie et la mort. Où naissent des amants futurs et des assassins, ceux qui vont construire et ceux qui vont détruire le monde… Je cherche un poème, partout…Je le cherche dans les anciens et dans les nouveaux livres. Dans ceux-ci, je trouve tantôt un cheveu brun, tantôt un cheveu gris. Et aussi, je trouve un billet d’argent d’un pays perdu et là-dessus, le  sourire d’un souverain tout-puissant. Et tant d’autres choses, je trouve ….
Je cherche un poème partout… Je le cherche dans les poèmes aussi, dans ceux des autres poètes. Bien que je sois persuadé qu’il y a tant de vers beaux, bouleversants, faits de façon magistrale,
et je crois le poète qui a dit: « Tout est poème », mais je ne trouve pas le poème que je cherche… Partout, je cherche un poème.
Plus souvent, c’est lui qui me trouve. Le plus souvent, je le trouve là où je ne l’ai pas cherché. Mais tout ce que j’ai  écrit jusqu’à présent, et les autres ont accepté en tant que mon poème,
n’était que la trace de mes doigts sur le papier, où il a laissé la poudre dorée de ses ailes, avant qu’il ne soit disparu quelque part à jamais. J’ignore ce que ces signes mystérieux signifiaient pour les autres,
car pour moi, ils n’étaient que de nouveaux messages pour que je continue à chercher.

 

QUI A PU LIRE MES LETTRES D’AMOUR

Qui a pu lire mes lettres d’amour ?
mes poèmes en prose où toute forme
était une chaîne et une armure. Qui a fait irruption,
armé, dans les maisons de ceux à qui je les ai envoyées jadis,
comme ils pénétraient, armés, dans ma propre maison? Dans ma maison, dont la porte était toujours grande ouverte. Dans laquelle, même quand je n’y suis pas, vivent, gaiement, mes dieux domestiques : Homer, Dante, Whitman, Dostoïevski, Kafka…
Qui a fouillé, avec hâte et minutie, leurs armoires, comme ils ont fouillé, plus d’une fois, mes propres armoires ? Qui a perquisitionné chaque recoin de chez moi ? Qui a vidé les tiroirs ? A regardé sous le tapis ?
Qui a feuilleté des livres, des albums ? …Qui devant un miroir a enfilé des robes en soie, comme ils ont enfilé mes propres vêtements? Même ceux que je n’avais jamais mis sur moi ? Qui a porté mes chaussures ? Se sont-ils étonnés de trouver de petites choses mystérieuses ? Un marron tout fripé, un morceau d’un objet éclaté, un ticket de métro de Prague, un billet de cirque de Moscou, un galet d’une plage adriatique, une branche de romarin … ? Des choses insignifiantes pour eux, et si précieuses pour nous. Car ces choses-là, par leur magie que nous seuls connaissions, ranimaient nos souvenirs. Ecartaient le rideau de l’oubli. Réveillaient notre vie d’antan.
Etaient-ils plus étonnés que s’ils avaient trouvé une bombe? Surtout celle qu’ils ont posée eux-mêmes lors de l’ancienne perquisition. Ont-ils ri de mon romantisme et de mon sentimentalisme incurables, lorsque, en cherchant l’argent et l’or, ils avaient trouvé, dans les endroits secrets, donc suspects, les déclarations d’amour datant de ma jeunesse ainsi que de mon âge mur? Ont-ils ri de la dentelle de mes mots tendres de mon joyeux testament? La braise de leurs cigarettes, a-t-elle brûlé le papier de mes lettres à l’image des étoiles qui brûlent l’obscurité d’une nuit d’été ?
Quelqu’un parmi eux a-t-il pensé que ces hiéroglyphes d’amour, dont ils riaient vulgairement, ont essayé d’arrêter la guerre et de sauver le monde?  De sauver tant de vies, et même de sauver leurs têtes et leurs âmes. Les têtes de ceux qui étaient déjà coupées, et qui seront coupées sous peu? Et les âmes de ceux qui ont déjà tué et qui vont tuer très prochainement. 

à Urska

 

SUR LA TOMBE DE MA FEMME QUE TU AS AIDEE A MOURIR SANS DOULEURS…

Sur la tombe de ma femme, que tu as aidée  
A mourir sans douleurs, tout en m’aidant moi à vivre dans la douleur, nous sommes arrivées la main dans la main.

Nous nous sommes embrassés. Et par ce geste, nous nous sommes inclinés, avec un extrême respect, à la fois devant la mort et devant l’amour.