Tomaž Šalamun

L'ARBRE DE VIE
poésie

         

Tomaž Šalamun est né en 1941 à Zagreb, Croatie; la plupart de sa vie, il a vécu en Slovénie. Il est l’auteur de plus de 30 livres de poésie, écrits en sa langue maternelle slovène. Ses poèmes sont  traduits en nombreuses langues. Il vit à Ljubljana.

 

L'ARBRE DE VIE
Traduit par Zdenka Štimac


Garçons morts

garçons morts ! garçons morts !
là où dans les steppes les oiseaux filent et le jour se dédouble
où les dés des têtes sont des voiliers pour le murmure et des convois de planches se
détachent des rochers
où les matins sont brillants comme les yeux des slaves
où au nord se soufflettent les castors produisant un écho qui est comme une invitation
à la mort
où les enfants dévoilent des yeux au beurre noir et sautent rageusement sur des fagots
où, les bras arrachés, on fait peur aux taureaux des voisins
où l’on attend le froid en file indienne
où le pain empeste le vinaigre, et les femmes les fauves
garçons morts ! garçons morts !
où les défenses se mettent à luire, et les contes à bruire
où le grand art, c’est de clouer un esclave dans l’arc du saut
où l’on allume le maïs sur de grandes étendues pour que dieu le sente
garçons morts ! garçons morts !
où il y a des églises pour oiseaux afin de les habituer au fardeau de l’âme
où les habitants à chaque repas claquent des bretelles et piétinent sous la table les textes
sacrés
où les chevaux sont noirs de cendres
garçons morts ! garçons morts !
où les quilles sont des outils de géants essuyant leurs paumes graisseuses à des rondins
où l’on guérirait šalamun par un cri
garçons morts ! garçons morts !
où tous les portiers ont la peau jaune pour pouvoir fermer les yeux plus vite
où l’on achève les vendeurs de viande avec des raquettes et ne les enterre pas
où le danube coule de cinéma en cinéma vers la mer
où la trompette militaire annonce le printemps
où les âmes font de grands détours et chuchotent dans une assemblée de fauves
garçons morts ! garçons morts !
où l’on consolide la lecture avec du gravier pour qu’elle rende un bruit
où les arbres sont à vis, les allées à joints
où dès le lendemain de leur naissance on entaille la peau des enfants comme celle des
chênes-lièges
où l’on verse de l’alcool aux vieilles
où la jeunesse fouille sa bouche comme l’excavatrice le fond de la rivière
garçons morts ! garçons morts !
où les mères sont fières et arrachent des fibres à leurs fils
où les locomotives sont arrosées du sang des élans
garçons morts ! garçons morts !
où la lumière pourrit et explose
où les ministres sont vêtus de granit
où les magiciens ont ensorcelé les animaux qui tombent dans des paniers, chacals debout
sous les yeux des loutres
garçons morts ! garçons morts !
où avec des croix on indique les côtés du ciel
où le blé est rugueux et les joues gonflées par les incendies
où les troupeaux ont des yeux de cuir
où toutes les cascades sont faites de pâte, que l’on tisse avec les rubans noirs d’êtres jeunes
où l’on brise le cou-de-pied des génies avec des crochets pour transporter le bois
garçons morts ! garçons morts !
où la photographie se limite aux plantes qui ensuite continuent à pousser et font éclater le
papier
où dans les greniers sèchent des prunes qui gouttent dans de vieilles chansons
où les mères de soldats enroulent leurs colis de nourriture à un rouet
où les hérons sont charpentés comme les silhouettes athlétiques des argonautes
garçons morts ! garçons morts !
où les marins viennent en visite
où dans les villas hennissent les chevaux, embaument les voyageurs
où sur le carrelage des salles de bains sont collés des dessins de graines d’iris
où l’on nourrit les cannibales avec des bardeaux
où les pieds de vigne sont enveloppés dans des toiles grises pour qu’une membrane
recouvre les yeux des jaloux
garçons morts ! garçons morts !

 



O fauves !

ô fauves ! voilures ! sol fertile !
fleurs vert foncé, vacarme du dimanche
du dos nous soutenons le temps, du dos le vol
le pain noir du dos, eau où l’on nous a baptisés

ô fauves ! nous compenserons la mort
le grincement des plaines blanches, les filets des étoiles
nous sommes à l’affût, attendons la fumée
attendons les parfums sacrés, la porte en chêne
battons des ailes, voyageurs de la paix, flottons
tombons comme des guerriers
cadavres qui fument d’humidité

bouillonnement de l’eau, le roulis des étincelles
tournoie au-dessus de ma tête, marche droit sur l’huile incandescente
se hâte, haut, vole bas
là où il repose, nous humons le carbure
le ciel méridional, là où sont les grottes, les caches

où sont les colchiques du jeune animal
les navires noirs émoussés, le sel noir
où êtes-vous joueurs de cartes sur les crêtes, montagnes éclatantes
croix couchées en travers des chemins de campagne, rire
où est votre immortalité, écureuils

telles les masses noires des alpes, telle l’aube sombre
nous entendons des appels, l’aboiement des chiens
nous entendons le mouvement silencieux des chasseurs, le cercle des insectes
les pierres du repos, les allées de l’espoir

 


Il y a des fraises
I

J’écope l’eau de la galère
et Mirko arrive
cos’ te fa
no te vedi che xe fini
sta galera veccia
moniga
mai timonier

et je regarde
et effectivement
les paioles flottent
et il n’y a plus de pagaies
ils ont enlevé notre patérazz
et volé nos stecche
ceux de Pula
et j’ai mal aux reins

il y a des fraises
il y a des fraises
dis-je