SARAH SAJN

De Mostar à Nice - Od Mostara za Nicu

         

Sarah Sajn est doctorante en sciences politiques à Sciences Po Aix depuis 2014. Son travail porte sur l'intégration européenne de la Bosnie-Herzégovine et ses implications dans l'institutionalisation d'une mémoire publique européenne et bosnienne. Elle est co-fondatrice de l'Atelier Balkans, membre du bureau de l'Association Française d'Etudes sur les Balkans (AFEBALK) et est également à l'initiative du réseau Universitaires Solidaires avec plusieurs autres doctorantes de Aix-en-Provence.

 

De Mostar à Nice - Od Mostara za Nicu


Mostar 2016. En ce pays meurtri, où les impacts de balles sont encore si incrustés dans les murs comme dans les esprits, je me suis retrouvée, un bassiste de blues noir américain en messie, face à l'imagination d'un carnage dans ma ville... Ici, et à l'étranger, pas réellement l'habitude de réactions autres qu'émerveillées quand je mentionne ma ville natale. Souvent, je vois dans leurs yeux l'idylique courbe de la Baie des Anges, qui me manque aussi. Et je souris. Ce soir-là, ce fut différent pour ce musicien. J'étais là, tentant de participer à la résistance de quelques-uns face à la sauvagerie, la corruption, le racisme, les profits de guerre, les sacrifices de population. Par la musique, par la culture, par la patience aussi. J'étais là, mais ce soir-là, voilà que ce fût chez moi que le pire arriva. Nice 2016. Les visages affligés, accablés, navrés, m'offraient les condoléances que j'avais l'habitude de leur adresser. Mais quelle était la différence? Le temps passé dans l'horreur, l'ampleur de la catastrophe, ses conséquences certainement? Je l'espère... car comment ne pas penser à cette nostalgie de l'harmonie qui règne ici, comment ne pas penser à ce pire qui leur était tombé dessus, comment ne pas penser que chez moi aussi, ça pouvait arriver. La guerre. La mort. La destruction d'un vivre ensemble subtile et pendant si longtemps tissé. La négation de l'idée de mieux dans la tête des Hommes. Le vide. Le chaos. Et la solitude par-dessus tout. Trois jours auparavant, des familles entières enterraient encore les corps de leurs défunts enfants, de leurs défunts maris. Srebrenica 1995. Cette fois-là, ce furent eux, partisans du croissant, qui furent les victimes ciblées de ce point noir de l'histoire de l'humanité. Et pourtant, j'entendais déjà les collusions, les digressions, les dérives et les amalgames dans nos réactions. Trois jours avant, je pensais déjà à ce paradoxe déchirant - l'oubli et l'ignorance de cette tragédie, chez moi surtout, et le manque de retenue et de dignité de nos représentants ici. J'écrivais à mes amis, combien il était difficile d'être Européen un 11 juillet. Mais il est difficile d'être Européen... J'ai cessé de penser qu'un drame qui concentrerait ces horreurs nous permettrait de recommencer. Il n'y a pas forcément de mieux après le pire. Pas de vérité ni de sagesse dans une radicalité qui voudrait tout détruire pour ensuite reconstruire. Il y a toujours ces mêmes gens, qui malgré l'horreur, malgré la peine, malgré la douleur, ont cru. Et pas à pas résisté, pas à pas reconstruit, et construit de nouveau. Eux-mêmes qu'il est si bon de se remémorer quand l'horreur est passée. Mais ce chemin est long et les ennemis de cette foi ne s'arrêtent ni à l'échec ni à l'effroi. C'est aussi ce que j'ai appris ici. Il n'y a pas de temps pour lutter.

A Bagdad, à Cologne, Nice et Bruxelles, en Tchétchénie, en Bosnie-Herzégovine, à Beyrouth, à Tombouctou, à Madrid, Alep, Mossoul, en Europe et en Afrique, … ce sont nos morts.