sur l’auteur
Jasna Samic, née à Sarajevo, vit à Paris où elle écrit en bosnien (serbo-croate) et en français. Elle a publié des romans, nouvelles, poésie, pièces de théâtre, essais ; elle est aussi metteur en scène de nombreuses pièces de théâtre et l'auteur de films documentaires.
Lauréate de plusieurs prix littéraires français et internationaux.
Quelques pioèmes tirés du recueils
Alleurs est le ciel, l’Hamrattan,2022
Dans un pré un homme
Hommage à Tarkovski
Dans un pré un homme
Nu
Court vers la forêt voisine
Son corps élancé brille sous les gouttes de pluie
La giboulée le frappe tel une malédiction
Comme un troupeau de démons
Assistée par le vent
Les feuilles volent vers les nimbus
Puis retombent
Sur une table bancale
Sur la table :
Un verre de vin
Le vin coule-t-il du toit
De la maison en ruine et des nuages
Avec de la pluie ?
Au cœur de la forêt
Un enfant court
Nu vers la maison délabrée
Au cœur de la forêt
Son corps luit sous les gouttes de pluie
Vers l’enfant
L’homme court
Au corps élancé aux bras ouverts
Implorant une étreinte
Une impérissable étreinte ?
C’est mon enfance crie-t-il
Le chuintement de la giboulée
Est plus puissant
Que les cris de l’homme
Qui vers son enfance se dépêche
Abandonnée
Tu le regardes
Ravie appuyée sur
La maison en ruine
Nue
Toi aussi et
Pétrifiée
Le corps de l’homme brille sous cette averse
Il est fort
Beau
Très beau
Et accablé
Est-ce le
Miroir
De tout humain
Qui court vers son passé
Et sa maison délabrée
Anéantis
Par une hache barbare
E x i l s m e r s
I s t a n b u l
Le port les mouettes la mer
Le port les mouettes la mer
Une taverne sur la rive
Et des bateaux ancrés
Des hommes
Vendent des poissons criant à tue-tête
Alors que des navires vont et viennent
Sous un déclin cramoisi
Assise dans la taverne
Tu regardes les coupoles du Palais
Et vois les temps anciens
Se balancer tels des Houris
Temps où ton ombre était reine
Ou une esclave du Harem
Captée dans ta ville-sérail ?
Sous peu
Le soleil
Cette immense grenade
Sera poignardée
Par la pointe du
Passé
Au sommet du Palais et
Des dômes recouverts d’une brume
Moderne et moisie
Au crépuscule mauve
Qui tombera tel un obus
Sur la ville scintillante
Comme une myriade de lucioles
(Kadiköy)
Poupée ridée
Ciçek pasaji tapissé de fleurs
Et de tes souvenirs
Plus haut
Une porte s’ouvre
Un homme rond
Dit merci aux roses
Seule au salon tu regardes
Canaletto au mur
Tandis que ton bouquet écarlate gémit sous
Sa tenue incolore
Puis des pas sourds
Résonnent
Et vers toi glisse
Une poupée de chiffon sans cheveux
Parée de perles et de bracelets en or
Cliquetant sur ses bras effrayés
La poupée ridée
De chiffon
En lambeaux
Aux jambes tordues
Aux petits yeux larmoyants
S’écroule comme une statue en toile
Sur un fauteuil en velours
La tête de Laura hanum
Tombe sur sa poitrine
Ses yeux disparaissent ses lèvres ouvertes
Versent des gémissements
Sur sa robe couleur de la Mer
De Marmara
Aimez-vous Canaletto
Demandent ses larmes
Alors que des gâteaux brillent comme des étoiles
Devant toi
Tu t’assieds à son piano blanc
Et la valse de Chopin retentit
Dans la maison tapissée de souvenirs
Et de soie
Un gloussement se fait entendre de la bouche
Qui verse des larmes
Sur sa robe bleue comme la mer
Et voilà que cette poupée déchirée
Se met à danser comme une ballerine
Sourde et muette aux jambes empêtrées
Aux bras levés
Vers les anges
Déchus
Son corps se tord de la
Triste ivresse
Sous le fardeau l’Assassin
Temps
Un bruit sourd fait arrêter tes doigts
Ton regard tombe sur le sol tapissé de souvenirs
Où gît la poupée en chiffon
Déchirée
Aux yeux martyrs
Sur un visage de cire
(Taksim)
Les fantômes de nos temps
Les fantômes de nos temps
Te bousculent
Ton âme chasse les souvenirs
Tels des moustiques bourdonnants
Un homme devant toi
Pousse une charrette
Ses roues grincent
Taze simit !
Hurlant
Tu t’élèves au-dessus de la foule
Et voles sur un tapis d’antan
Qui fredonne des odes aux temps charmants
Tandis que paresseusement
Se balancent les bateaux
Sur une mer calme
Au loin
La Mosquée bleue
Appelle les mouettes à voler vers l’Au-delà
A prier pour ce monde déchu
Pour les lambeaux de la poupée
Tombée en valsant
Souriant de tristesse
Sous un soleil satanique
De la ville du Tzar
(Karaköy)
Galata
La mer les bateaux les voix
De marchands et
Au loin
Une belle Houri
Frémissante
Sous une lanterne des vieux temps
La nuit s’impose
A la ville qui brille
Dans ton souvenir
Sous un éternel
Feu d’artifice
(Eminköy)
Tout change à la vitesse d’un éclair
Tout change à la vitesse d’un éclair
Dans la ville qui s’étend sur plusieurs rives
Aux bazars où les mâles adipeux
Croassent comme des goélands
Seul le Pera Palace
Résiste aux tempêtes
De l’Histoire
S’y mirent la poussière centenaire avec
Les sorbets de Venise
Les tapis perses
Les psychés d’ébène
Et des seigneurs galands
Aux manières désuètes
La voix du muezzin s’élève avec des mouettes
Au-delà des nuages
(Quartier de Pera)
La maison de la Félicité
Le navire glisse sur
la Mer de Marmara
Le ciel couché sur les eaux
Est un casque obscur
La corne d’or
Le café Loti et
Les coupoles en saphir
Allaités par la nuit
Noires sont
Les temples et les Harems
De padichahs
Tu viens d’arriver
De la ville meurtrie
Où même le soleil fut
Trempé dans la suie
La fureur des brigands de grands chemins
Toujours vive dans ton esprit
Glissent les bateaux
Telles de minuscules torches
Comme des oiseaux blancs aspergés de diamants
Éblouissants
Poussant des cris commes des goélands
Enduits de suie
(Marmara, Corne d’or)
Exil et mer
La poussière s’élève jusqu’à l’azur
Le bleu se cache
Au beau milieu de cyprès
L’ode fait au Secret s’élève avec la cendre
Des cris d’amoureux recouvrent la mer
Et le vieux cimetière
Où le silence invoque les noms de Dieu
Tandis que les oiseaux blancs font leur
Musette
Et que les amoureux tournent
Autour du Secret
Indétectable
Bientôt dans le silence
Des morts
Tu t’élanceras loin de ces yeux extasiés
Vers le triste crépuscule
Pensant au chant divin
De tes nuits d’antan
(Beyoğlu)
M e r s
Sur le sable
Dans l'ombre à cinquante dégrés
Tu resistes en vain au pathos
La chaleur a fauché les têtes sur le sable
Rejétés en arrière
Les cous s'offrent au crime et au baiser
Les corps des filles qui viennent d'arriver nous
Eblouissent par leur blancheur
Et les Arabes en topless
Evoquent des statues couchées
En chocolat
Des jeunes hommes vêtus
Somnolent sur le sable
A l'ombre d'un palmier voilà
Les jambes velues écartées
Et entre les jambes
La virilité gonflée
Une main à la peau mate
Et les lèvres qui égrènent un chapelet
Allahu Akbar
Beauté
Luxure et Dieu ici
S'enlacent
Passent les voix monocordes telles des mouches
Bourdonnant autour des corps ensablés
Offrant en toutes langues
Des dromadaires en peluche
Casquettes américaines
Figues poires raisins roses de sable
Feuilles de palmier plantes en pots
Un tour en ski nautique un tour à dos de chameau
Un vol au-dessus de la ville
Une canette de coca un verre d’eau
Un thé au jasmin…
L'eau partout
Sans que l'on puisse en boire une goutte
Impudique
Le jeune homme calme son sexe
Entre ses doigts
Te fixant prononce la prière
Allahu akbar ma belle
Luxure et Dieu ici
S’enlacent
(souvenir de Tunisie avant la révolution)
Crépuscule invisible
En hiver la mer est encore plus loin des mortels
A cette heure du déclin la pénombre rappelle
Une vieille mégère en chaleur
Tout a la couleur de l’agonie
Du jour de la mer du ciel de la plage des pierres
Et même des flâneurs
Tout est gris
Et tout gémit
Soudain les amants tout blancs
Choquant la vue déploient leurs voiles
Et s’élancent au-dessus des rochers
Semblables aux goélands blancs
Qui volent près d’eux en criant
D’amour de tristesse ou de joie ?
Tout est gris excepté les amoureux
Et leur chien blanc
Qui sursaute
Tente de suivre leur vol
Sous le ciel gris clignote le château qui domine la ville
Quand une fumée grise et brillante
Essaie d’atteindre la falaise et le ciel sanglotant
Qui arrose les passants de ses larmes invisibles :
Flocons d’une neige grise elle aussi
Tout au loin sur la mer
Deux lumières jaunâtres
- Deux petits soleils moribonds -
Avancent de plus en plus vers cette rive étourdie
Tels deux minuscules yeux malvoyants
S’approchent des yeux d’Albâtre
Ou peut-être d’Albatros
Glissant sur cette manche lugubre
Inaudible et calme
Seules deux vagues précèdent
Ces yeux brexitiens
Blanches telle l’écume de la bière de ton éternel
Amant
Resté loin à savourer sa boisson jaunâtre
Couleur de ces génies lointains
Propulsés depuis la
Côte d’Albâtre
(Dieppe)
La mer froissée
La mer froissée grelottante
Comme les narines d’un voleur
Comme le cactus dans le parc de la ville
Où tu viens de poser par bonheur
Tes pieds
Où pourtant tout paraît à portée de la main même cet
Albatros géant qui bientôt s’engagera vers le large
De la Côte d’Albâtre
Narguant les assassins :
Vagues grêles et vents
La mer mauve écumante couvre cet ensorceleur
Bleu :
Le ciel retraité
Le Messager de la mort sifflant
Scie ton esprit
Tandis que les amants
Lui et lui
Se tenant par la main
Loin du monde narguent l’orage
Le long de la plage
Tout près d’eux un chien vide ses intestins
Puis son patron le cache sous ces beaux
Galets blancs vers lesquels des écoliers
Petits s’approchent
Pour les cueillir comme des roses
C’est pratiquement l’été et
On gèle sous cet impassible Astre
Tandis qu’un souffle barbare nous emporte la raison
Et que les goélands aboient
- De désir ou de faim ? -
Voltigeant comme possédés autour d’un bistrot
Solitaire
Bientôt ce soleil coriace
Plongera dans les eaux titanesques
Sous l’invisible arche grincheuse
Là où Dieu se retire
L’irrésistible Nuit établie son empire
Tel un navire
Tu vogues toujours tout près de la
Manche froissée telles les narines d’un voleur
Te demandant pourquoi du même spectacle
Tu vois toujours une autre image
(La Manche)
La mort près de la plage
Près de la plage déserte une dame âgée et ronde
Fixe l’asphalte quand un grand goéland l’observe
Puis un autre se met à rôder tout autour hurlant et agitant ses ailes laiteuses
Enfin un troisième les joint et la dame crie telle une mouette
A gorge déployée
Tu l’accostes et tu vois un oiseau aux ailes d’azur
Agonisant sur l’asphalte que la dame caresse de ses yeux durs
Puis elle l’attrape et le place dans son sac comme dans une cage
Mon chat ne le mangera pas bien qu’il me griffât hier
(Dit-elle te montrant sa main ronde telle une bombe prête à exploser)
Je dois le soigner sinon ils l’auraient mangé
(Ajoute-t-elle pensant aux goélands)
Comme ils nous mangent nous aussi
Nous aussi, t’écris-tu comme une mouette maintenant
A gorge déployée toute affolée
Te voyant déjà picoter par le bec
De ces beaux oiseaux argentés sans cœur
Oui, ils nous sentent trépassés ils volent vers nos lits de mort
Pour nous déplumer comme ils font avec les oiseaux
Comme ils font avec des naufragés
Comme ils font avec des cadavres
Et des poissons quand ils arrivent à les attraper …
Mais il y a de moins en moins de vivants dans l’océan
Et de plus en plus de mourants parmi nous les gens !
Puis elle caresse les plumes bleuâtres telle la mer sous
Un soleil d’été au déclin du jour
Avec sa main assi ronde qu’une bombe à retardement
Alors que ce dôme au-dessus de nous est transparent
Et qu’une sorcière sifflante nous mord de ses invisibles dents
C’est l’été
Mais on dirait que ce géant suspendu à l’azur
Sous lequel les « Sept sœurs » se préparent à s’envoilier au large
Ne sourit plus
(Côte de la Manche)
L u m i è r e s r i v i è r e s a i l l e u r s
Vénus
Tu as vu aussi Vénus de Botticelli
Son amant Mars couché près d’elle
Aussi beau qu’elle
Et trois satyres tenant sa lance
Au-dessus de son corps élancé
L’un d’eux essayait de réveiller
Ce dieu beau comme sa maîtresse
Tu as vu aussi
Vénus de Velasquez
Allongée sur des coussins de soie
Te tournant le dos
Qui brûle depuis des siècles déjà
De jouissance
Elle regardait sa beauté dans un miroir
Et tu te mirais dans son corps
Comme Narcisse dans un lac magique
Y avait-il un esclave de ce ravissement
Qui remplissait la ville toute entière
Baignée dans le smog et les pluies diluviennes ?
Tu as vu dans l’Underground
Une Vénus locale aux cheveux arc-en-ciel
Brûlant
- Roses mauves jaunes bleus verts et noirs -
Qui ruisselaient sur sa poitrine
Qu’elle offrait aux passants
Mais ils dormaient tous sur leurs
Sièges à la fin d’une journée froide
Trempés de sueur
Vénus de l'Underground
Avait des jambes rondes comme des roues
Des wagons et sa chair clapotait
Dans le Tube qui hurlait comme
Des chiens à mille têtes
D’Hadès
Elle buvait une boisson dans un globelet
Consultant son English cell posé sur son ventre
Aussi rond te dis-tu que
The London Eye
De l’autre côté de l’Embankment
Elle effaça une fois pour toutes la volupté de
La Belle de Velasquez et son dos
Nu qui répandait des romances composées
Dans les cieux
Où des heures durant
Tu te mirais
Que le monde est vilain
Aux yeux des temps modernes
(Londres)
What a wonderful day
Et tu rencontras Richard
Smart était-il, Richard
Qui te montra Shakespeare’s globe
Et à la fin s'écria
What a wonderful day
Tu entras ce jour-là dans la galerie moderne
Et rencontras de nouveau
- Qui donc ? -
Un miroir tout blanc qui ne réfléchit pas
Des miroirs aveugles
Tu les croises tout le temps
Tu le fixas te demandant si toutefois
Il te voyait et soudain tu aperçus des larmes
Géantes couler sur son
Visage blanc
Comme des loques d’un clochard
Déchiré il continue à se défaire
Il ne resta de lui que des lambeaux
Des trous - ses yeux sans vue
Et alors tu pus
Te mirer et apercevoir
Ta propre image décousue
Dans les cavités de ce blanc
Torchon
- Glace moribonde -
Pensant aux mots de Richard :
What a wonderful day !
(Londres)
Tandis qu’il fait gris
Assise dans un café
Tu regardes le voilier des temps trépassés
Derrière toi une voix off égrène des dollars
En russe
Et une autre s’y mêlant ajoute
Eto haracho eto krasivo
Puis la première continue son prochénie
Tandis qu’il fait gris dehors
Une fille en face de toi
Babille elle aussi
En russe à son portable
Autour de toi la ville médiévale
Et tout près
Des pokloniénié russes
Hier
Tu as perdu ton portable sous une
Pluie diluvienne
Et maintenant tu es une moyenâgeuse
Toi aussi
Comme cette partie de la ville
Tandis qu’en face de toi par la fenêtre
Old Thameside inn
T’appelle
Vide sans âme de n’importe quelle époque
Le froid humide pénètre ta peau de toute sa
Force virile
Tu as pleuré hier –
Comme cette glace blanche dans la Tate modern
Déchirée en lambeaux -,
Arrosée par des camions qui rivalisent
Ici avec des avions
Dans ce quartier luxueux où vit ton ami
Si tu dors dans une villa
Tu dois avoir un cocher et un carrosse
Et non un portable profane et un parapluie
Acheté à Monoprix
Pendant que tu y songes
La voix off derrière toi répète
Sa litanie en dollars
Et l’autre lui répond
Ok Haracho eto krasivo
Et la fille en face
Aux cheveux blonds balbutie
Elle aussi
Niet Niet
Haracho
Niet niet krasivo
Où es-tu ?
Tu vois le voilier des temps anciens à ta droite
Et par la fenêtre d’en face
The Old Thameside inn
Désert telle cette prison médiévale
Par lequel tu passas
Avant d’atteindre ce café
Où on n’entend que cette prière russe
Chuchotée
En dollars
(Londres)
L’autoportrait
Tu as vu aussi
L’autoportrait de Turner
Et la Tamise affolée
Telle une mer remplie de foudres
Tu as vu tes amis
Et Canaletto dans le musée
Sans âmes avides
Et Leighton dans sa maison
Orientale apportée de défunt
Damas
Le nuage au-dessus du fleuve
Fut un roc noir
Géant cachant des
Passants
Transpercés par ses éclairs
Comme peints par le Jour du Jugement
Ici un ami t’ouvrit la
Porte de Leighton House
Où tu admiras le profil d’une belle Eurydice
Tout de blanc vêtue puis celui d’une autre
Aux cheveux noirs tressés de perles luisantes
Il te posa d’innombrables questions et
Te fit un beau cadeau en souvenir
Ton ami
Mais tu ignoras les réponses
Ainsi que ce mot moderne
Qui jaillissait de sa bouche telle une sauterelle :
Artefacts !
Sur la Tamise se balançaient des navires
Différents de tous les autres
Et un soleil se montra
Derrière le nuage– rocher
Qui ne ressemblait à aucun
Que tu as vu ailleurs
D’où viens-tu
Demande-t-il fâché
C’est vrai, d’où viens-tu ?
Te demandes-tu également
Sans connaître la réponse
Ni pourquoi tu es là
Devant les bateaux qui montent
Galopant sur les vagues
Différentes de toutes les autres
Puis tu te rappelas :
Je viens des nuages
Blancs comme le lait
Du sein de la mer
C'est mon unique
Demeure
Tu laisses ton regard se balancer
Comme une barque
Sur ce fleuve en colère sur lequel sont
Evanouis
Des voiliers des temps
Trépassés
Et qu’un soleil
Différent des autres
Se faufile timidement à travers
Le nuage noir comme un mur
D’Hadès
Alors que tu exultes
Mon unique demeure !
(Londres)
Avant de partir pour Berlin
Avant de partir pour Berlin
Ce jour-là
A Londres ton ami te dit :
Brexit
Puis ouvrit la télé et toutes les chaines
Chantèrent la même ballade
Bréxitienne
Ce jour-là tu entras
A la Westminster Cathédral
Sans voir un dieu quelconque
Mais entendis des cloches sonner
Inlassablement
Brexit
Tu passas devant le Westminster Palace
Où les hommes mal habillés aux visages
Putréfiés sous une pluie accablante
Portaient des pancartes immenses qui dans leurs mains
Hurlaient
Brexit
Comme leurs bouches
Elles aussi !
Tu entras à Trafalgar là
Où des boîtes à thé aux visages de la Reine s'empilaient
Et des poupées de la Reine tournoyaient
Comme les derviches en transe
Et des doubles dockers rouges et des cabines téléphoniques
Vermeilles et des crayons aux images de la Cathédrale rouge
Tous scandaient
Tels les rustres devant le Parlement :
Brexit
Comme les gommes d’écoliers et les sacs en plastique et les
Biches chevaux peluches et bonbons
Et peut-être même cette Pakistanaise
Convertie en Londonienne
Sans que tu la comprennes
Au marché de Noël on vendait
Des lampes à la lumière jaunâtre qui éclairent
Le Brexit
Et des boules rouges et mauves qui chantaient
Le même air
Pendant qu’un ancien habitant de colonies
Brexitiennes
Cherchait des terroristes cachés dans nos sacs
Devant les boutiques pailletées
Au-dessus du Marché
The London Eye
Fut pourtant immobile et muet
Alors que les roues de l’Underground
Beuglaient - Yes it’s true - les mêmes contes
Brexitens
Tu sortis
Ce matin ensoleillé
A Hyde Park corner désert
Puis passas par les allées qui filtraient une
Lumière exceptionnelle
Devant le Buckingham s’entassaient des âmes foraines
Grandes rondes petites et sereines
Attendant Dieu sait quoi
Et criant d’une seule voix
Quoi donc ?
Non, tu ne compris pas
Puis tu passas devant le lac
Où les mêmes voix exaltées -
Se mêlant aux feuilles mortes sanglotant
Sous leurs pieds -
Glapissaient -
Tiens donc ?!-
Cigno Cigno !
Pendant que cygnes et canards
De toutes les peintures voguaient
Dans cette belle auge et les oies rubensiennes rubicondes
Se dandinaient entre les jambes des filles qui braillaient
Cigno cigno
Et que tu regardais un oiseau
Noir au cou long col blanc
Une merveille devant toi
Tu te penchas pour entendre
Chantait-il lui aussi
Cette même rengaine
Si moderne
Brexitienne
Mes les voix déchainées
T’en empêchèrent
Alors que l’oiseau noir au coup long col blanc
Aussi beau que le dos de Venus
- Où tu te berças très longtemps comme dans
Un navire d’autres temps -
Te regardait de ses yeux mélancoliques
Remplis de
Brexit
(Londres)
C o n f i n e m e n t
Tout en restant libre
Dans ta ville rasée les poètes confinés ne soupçonnaient point le mal
Mais ils voyaient leur gouffre à travers les maisons trouées
Tout en restant libres de mourir !
Dans ta ville assiégée il n’y avait rien à manger
Rien d’autre que la liberté
D’être tué
Dans la Ville Lumière on mange achète et dort
Mais vit-on ?
Le temps s’est figé
La planète se venge-t-elle contre sa montre démente ?
Tandis que tu regardes autour de toi et attends
Sans savoir quoi
Regarde l’irréel omniprésent conseille le sage
- Jusqu’à quand ?
Jusqu’à la perte de ton temps !
Triste poète on ne t’a jamais écouté
As-tu pensé compter comme je le fais
Des instants et des larmes des astres et des fleurs ?
Tu caresses le vide et tu sais :
Le Tout Puissant n’a jamais calculé ses morts
Le déclin te menace
Pas d’obus cette fois
Ni chars ni feu
Le ciel entre dans ta chambre par la fenêtre ouverte
Tu contemples le monde renfermé regardes l’arbre dans la cour
Penses au mal inné à l’homme
En regardant la lune et la fleur sur ton balcon
En bas ta vie d’antan
Se balance
En bas dansent hommes et femmes
Sous la pluie d’étoiles noires en chantant
La lune entre leurs mains :
Ailleurs est le ciel
D’innombrables lunes tanguent en gémissant
Tandis que les miroirs géants ne comptent plus
Tes instants arrachés
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