Jasna Samic, née à Sarajevo, vit à Paris où elle écrit en bosnien (serbo-croate) et en français. Elle a publié des romans, nouvelles, poésie, pièces de théâtre, essais ; elle est aussi metteur en scène de nombreuses pièces de théâtre et l'auteur de films documentaires.
Lauréate de plusieurs prix littéraires français et internationaux.
Mirko Kovac (1938 - 2013) est un écrivain ex-yougoslave d’origine bosniaque (Herzégovine) ; les dernières années de sa vie, il avait passé en Croatie où et écrivait en croate. L’auteur de nombreux romans (entre autres Vrata od utrobe, Gubilište, Malvina, Kristalne rešetke, Grad u zrcalu), ainsi que de nombreux recueils de nouvelles, d’essais, de pièces de théâtre et de scénarios… Il a été traduit dans de nombreuses langues, et a reçu de nombreux prix littéraires (par ex. « Herder Prize », en 1995).
SOUVIENS-TOI D’OUBLIER
(Mirko Kovac)
J’ai comencé à visiter le Salon du livre à Belgrade vers la fin des années 70 du siècle dernier ; j’y ai fréqunté de nombreux auteurs yougoslaves dont la plupart j’avais déjà rencontrés chez le poète Josip Osti qui avait d’ailleurs pour amis des plus grands auteurs de Yougolsavie, et même du monde entier. Osti les connaissait aussi « professionnalement », car il était à la fois directeur des éditions chez Veselin Masleša et Directeur de la manifestation internationale Les journées de poésies de Sarajevo. Toujours grâce à Josip Osti, mais aussi au fait que mon père était Président de la Fondation Ivo Andric (Predsjednik Zadužbine Ive Andrića), j’ai connu à Belgrad la célèbre famille, Ribnikar ; ainsi ai-je commencé à fréquenter le « salon littéraire » chez Vladislava Ribnikar, la fille du journaliste Vladislav Ribnikar et l’écrivain Jara Ribnikar ; j’y ai connu évidemment le mari de Vladislava, Mile Perišić, qui était à l’époque sécrétaire de la Fondation Andrić. Lors du Salon du livre, la maison des Ribnikar se transformait à un lieu de rencontres de l’élite yougoslave. Je voyais parfois Mile Perišić en dehors du Salon, car il se rendait souvent à Sarajevo, et me téléphonnait le plus fréqemment à propos de mon père et la Fondation Andric. Mais dès que Milošević prit le pouvoir à Beograd à la fin des années 80, il cessa de m’appeler, aussi bien moi que d’autres amis qui n’étaient pas selon lui de bons serbes, ou tout simpelment, qui n’étaient pas Serbes. Pendant la guerre en Bosnie des années 90, - il avait quitté Vladislava et était marié à une autre femme -, il se montrera un véritable nationaliste, et deviendra le diplomate de Milošević.
Je me rendais quelques fois à Sajmiste, où se trouvait le Salon du livre avec Mile Perisic ; à la différence des autres écrivains, Mile me présentais à ses connaissances, le plus souvent à sa façon « drôle » : « Je dois faire visiter le Salon à ces provinciales (donc, à moi), et je vous rejoindrai plus tard ». Je n’oubliais pas alors que lui-même était aussi provincial comme moi-même : originaire de Sarajevo.
Pendant le déjeuner, dans un restaurant proche du Salon, où je me trouvais parfois, des femmes des écrivains chantaient des chansons « starogradske », entre chaque bouchée de nourriture et chaque gorgée de raki. Le soir, on se rendait à la célèbre « Francuska 7 », comme on appelait - d’après son adresse – le fameux Club des écrivains. Dès les années 80, j’y verrai et entendrai l’acteur Bubuleja, titubant entre les tables et hurlant en rotant : Il faut égorger tous les Turcs (il avait en tête évidemment les musulmans de Bosnie). Il va sans dire qu’il était le messager de la «modernité» qui sera créée dans les années 90 dans ce « trou littéraire», d’où elle se répandra dans notre ancienne capitale, puis qu’au-delà de celle-ci.
A cette période, j’ai rencontré aussi Mirko Kovac au Salon du livre, mais je ne me souviens plus dans quelles circonstances cela se déroula. Une image se grava dans ma mémoire : je suis assise avec un ami dans l’un des bureaux d’une maison d’éditions ; était-ce Mile Perisic ou écrivain Vidosav Stevanovic, ou encore un autre éditeur – écrivain ? Au fond de ce bureau provisoire, dont les murs étaient plus minces que le carton, à l’instar de tous les autres « bureaux » du Salon, Mirko Kovac discutait avec quelqu’un d’une voix très fort. J’étais surprise d'abord qu’aucun de mes connaissances ne me présentât pas à l'écrivain, considéré à cette époque comme l'un des plus grands auteurs de sa génération en Yougoslavie (je dis que j’étais étonnée, tandis qu’il est de nos jours tout à fait normale dans les Balkans ne pas faire de présentations); puis j’étais surprise que Miro lui-même ne me saluât pas ; enfin, j’étais stupéfaite de l’entendre parler si fort. Par ailleurs, sa voix était très agréable, mais elle dévoilait quelque’un de timide et pas très sûr de lui-même (quand il ne s’agit pas des Américains, qui communiquent dans les cafés et les métros parisiens en hurlant, et non en parlant fort). Par contre, ce qui me parrut assez familier c’était la « coiffure » de Mirko Kovac et son visage au regrad à la fois vif et mélancolique malgré sa jovialité ; j’étais persuadée que je l’avais déjà vu quelque part.
Je crois que j’ai depuis toujours associé à Mirko Kovac cette coupe de cheveux, souvent épais, dansant pratiquement autour de la tête, atteinte de calvitie à son sommet, ce qui n’était pas rare en Yougoslavie.
Un soir, c’est Mile Perisic qui m’amena à l’exposition de la compagne de Mirko Kovac, une grande peintre ; l’exposition avait lieu dans une galerie au centre de la ville. Toutes sortes de portraits jonchaient les murs de la galerie, mais celui qui attira le plus d’attention fut le portrait de Mirko Kovač nu, armé d’un « instrument » puissant, avec un agneau sur les épaules. Du point de vue artitique, le portrait était très beau et fort, aussi attirant que son modèle.
Je me rappelle une grande foule à cet événement belgradois, où on se busculait le plus devant le portrait de l’écrivain avec l’agneau. A cause de cette salle noire du monde, je n’ai appérçu ni l’auteur du protrait ni son modèle.
Très jeune, j’ai essayé plusieurs fois de lire le roman « La porte de mes entrailles » (Vrata od utrobe, dont tous les médias parlait comme d’un chef d’œuvre), mais je n’ai pas parvenu à aller jusqu’au bout. Je n’étais point attiré par cette obscurité d’Herzégovine profonde que décrivait Mirko et que je considérais alors comme « littérature paysane ». Avais-je des préjugés quant aux thèmes ? Toujours est-il, hormis Miroslav Krleza et ses « Les Glembajev », je n’aimais pas la littérature yougolave qui avait pour thèmes soit la seconde guerre mondiale et la lutte courageuse des partisants de Tito, soit la vie de nos campagnes et des bleds perdus. J’ai eu une expériance quasi identique en lisant son ouvrage « Malvina ». Depuis, j’ai barré Kovač de la liste de „mes“ écrivains, quoique pendant la dernière guerre des Blakans j’aie eu beaucoup de sympathie pour sa lutte contre les nationalismes serbe et croate. Puisque je travaillais alors à RFI, j’ai fait avec lui une interview pour cette radio.
Nous nous sommes croisés aussi à Sarajevu, après la guerre, lorsqu’il a eu le prix « Stećak » (Stèle tombale associée le plus souvent aux Bogomiles). Mirko était un homme poli et m’a imédiatement présentée à Josip Osti, avec qui il parlait après la performance de lecture de poèmes, où j’ai participé également. Nous nous sommes exclamés, tous les deux en duo, Josip Osti et moi, que nous nous conaissons depuis une éternité, que nous avons voyagé à travers le monde entier tous les quatre (c’est-à-dire, Osti, sa femme, moi et mon mari). A Alexandrie, Osti et moi avons dansé si bien que les gens faisaient une ronde autour de nous pour nous regarder. Mon compagnon regrettait que la femme de Josip Osti fût obligé de danser avec lui, «ukručenom goropadi », une mégère rigide (le jeu de mots du titre de Shakespeare « Ukrocena goropad « Mégère apprivoisée », et « ukrucen » – raide, rigide), comme il se définissait lui-même en plaisantant. Dommage que je ne me sois pas mariée avec le consul anglais qui demandait alors ma main, dis-je en plaisant aussi à Osti et Mirko ajouta : « De toute façon, tu serais aujourd’hui divorcée ».
On a échangé encore quelques mots en plaisantant et riant, puis Josip qui vivait à Ljubljana, était pressé de voir sa mère qui habitait toujours Sarajevo, où elle avait passé le siège, comme j’étais pressée moi aussi de rejoindre la mienne. Et nous nous séparâmes.
Lorsque, en 2008, je fus invitée à Pula pour les rencontres littéraires et au Salon du livre nommé Sa(n)jam knjige (encore un jeu de mots qui signifie à la fois «Je rêve des livres », et « Salon du livre »), j’ai eu l’occasion de célébrer le prix que Mirko avait obtenu (celui de « Kiklop ») ; nous étions assis à la même table avec ses amis jusqu’à l’aube. Cette nuit-là, Mirko Kovač m’a offert son roman récompansé, « La ville dans le miroir » (Grad u zrcalu). Cette fois-ci, je fus surprise par quelque chose de juvénile qui dominait en lui, ainsi que par sa façon timide avec laquelle il me dit : je ne suis pas sûr que tu ailles aimer ce livre.
Je lus rapidement ce roman qui en plus me plut beaucoup et peu de temps après, j’allais découvrir son ouvrage « L’écriture ou la notalgie » (Pisanje ili nostalgija ) qui m’a littéralement ensorcelée par sa force littéraire et par la beauté de son style. Cet ouvrage était et est resté pour moi l’un des plus forts témoignages sur toute une époque, ainsi que sur l’amitié en général. Je pourrais même dire que c’était l’un des plus beaux romans (bien que ce ne soit qu’un faux roman) j’amais lu. Peut-on écrire après cette Nostalgie ? me demandai-je.
Et comme Danilo Kiš qui, selon Mirko Kovač, s’efforçait toute sa vie de découvrir la narration simple et majéstrale de Singer, ainsi je m’efforcerai toute ma vie, moi aussi, de découvrire la magie littéraire de Mirko Kovač.
On pourrait dire qu’à cet écrivain - dont les livres j’ai tous lus et certains d’entre eux plusieurs fois -, correspondrait parfaitement les mots que Rilke adressa à Marina Cvetaeva : La façon dont tu t’exprimes est comme l’éclat d’une étoile. Ce que j’aimais surtout chez Mirko Kovac écrivain c’étaient des portraits de ses amis, et de ses anciens amis, peints de façon sans compormis, parfois même impitoyable.
Il écrivait en effet comme il le disait lui-même en citant Miroslav Kreza : …avec Mnemosyne, déesse de la Mémoire, je ne fleurtais que sporadiquement, mais il me semble que je suis resté fidèle à la philosophie de Krleža d’après qui on devait écrire cruellement, implacablement, sans pitié, et même avec « les narines bouchées » (M.Kovač, L’écriture ou la nostalgie).
Dans le même temps, cet ouvrage Pisanje Ili nostalgija m’a presque réconciliée avec tant d’écrivains qui « n’étaient pas pour moi ».
En 2009, je me suis rendu à Tuzla pour assister aux rencontrens « Cum grano salis- Meša Selimovic » presque uniquement pour rencontrer Mirko Kovač ; plus précisément, je m’y suis rendue à cause de son livre L’écriture ou la nostalgie, ou encore, sur la suggestion de ma tante Bahra Engel ; elle voulait que je change l’ambiance sarajévienne, chargée depuis longtemps de maladies graves, et que je transmette à Miriko Kovač, mebre du jury pour le prix llittéraire Mesa Selimovic, son admiration pour son œuvre « L’écriture ou la nostalgie », citée ci-dessus.
Sitôt arrivée à Tuzla, j’essayai de transmettre mon admiration euforique à l’auteur dès que je l’ai vu, en lui citant les mots flatteurs de ma tante (qui était pour moi une seconde mère), et restai assez interloquée par la réaction de l’écrivain, réaction qu’on purrait définir de malpoli : “Je n’aime pas qu’on me fasse des louanges, je préfère qu’on me critique ».
“Ne t’en fais pas, je te ferai immédiatement plaisir et te dirai que je n’ai jamais pu lire ton livre « La porte de mes entrailles » (Vrata od utrobe), alors que ton roman « Malvina » représentait pour moi l’exemple type d’un ouvrage artificiel et insupportable ! ”
Je ne me rappelle plus de sa réaction à ma réplique ; peut-être répondit-il avec une plaisenterie ? Ou avec un silence, sans s’y attendre à un tel virement, et une telle arrogance de ma part ?
“Ce qui m’étonne, - me suis-je exlamée avec un mezzosoprano pas très agréable -, c’est que dans ton livre qui me plait tant, il n’y a pas l’ombre d’une femme ». (Plus tard, je me suis souvenue qu’il y avait toutefois un portrait de la poétesse Desanka Maksimović.) L’espace d’un instant, Mirko Kovač se tut, puis rajouta sur un ton moqueur et en riant : “C’est normal, car des femmes ne sont pour moi que des maîtraisses ”.
Nous avons eu l’occasion encore d’échanger quelques mots, assis à la même table. Pendant notre visite au Lac salé (Slano jezero), il quitta brusqement son coin de la longue table (à laquelle on nous fit nous assoir après une balade difficile sous un soileil imptoyable de ce mois de semptembre), et atterit sur une chaise en face de moi, à l’autre bout de cette table. Et avant même d’être assis, il pronocça rapidement une phrase qui était en fait la réponse tardive à mes «compliments » sur ses ouvrages « la Porte de mes entrailles » et « Malvina : "Donc, tu es une contestatrice ?! "
« Non, je ne le suis pas vraiment. Et toi donc, es-tu quelqu’un qui ne connais pas bien les femmes ? ».
Entre temps, un critique se posa précipitamment sur une chaise libre, entre moi et Kovač, et aussitôt assis s’écria, comme dans un grand danger : « Si vous fleurtez, je m’en vais immédiatement » … »
Confus, avec un visage qui dévoilait une gêne, et comme avec signe de consentement, Mirko leva les bras désarmé et balbutia: « Mais non, mais non ». Et se tut une fois pour toutes. A propos de ce genre d’accusation, j’aime beaucoup encourager mes interlocuteurs, et je faillis dire à notre grand critique : Oui, tu as raison, je lui fais la cour, - je ne parle que de moi -même - et tu peux filer ; mais Mirko Kovač fut beacoup plus rapide avec ses excuses.
Après qu’il se montra "pris en flagrant délit », je me tus, moi également. C’est ainsi que se termina, avant même de commencer, ma conversation avec l'écrivain que je venais de découvrir.
Allez, déshabille-toi, déshabille-toi, se mit brusquement à me chuchoter le critique littéraire, d’une voix plus perçante que s’il criait.
Il n’’y a personne ici qui puisse en être choqué et que je voudrais choquer ! répondis-je indifférente. Si, si, contua-t-il, j’en serai dhoqué moi-même ! Ma réponse que je ne lui ferais pas cet honneur, ne lui plut pas du tout.
Au lieu de parler avec Mirko qui s’était, suposai-je déplacé pour qu’on dicute – je continuai à baratiner avec le critique E. K. ; c’était une conversation à la fois lascive et stupide, chargée aussi bien de plaisenteries bêtes que de figures de style insensées.
En pensant à cet événement éphémère, je me rappelle aussi que quelqu’un avait publié sur Internet un fragment de l’ancienne version de l’ouvrage de Kovač « L’introduction à une autre vie » (que je n’arrive pas toruvé dans sa nouvelle version) ; je me suis demandé si les mots que j’ai lus pourraient illustrer l’éposode cité ci-dessus et cette conversation insensée au bord du Lac salé :
J’ai de la pitié pour tous ces hommes libres/ qui sont devenus les esclaves de leur destin,... / j’ai de la pitié pour tous ceux qui prennent des pots de vin de la part de leurs flatteurs, / j’ai de la pitié pour tous ces malheureux / qui répètent des pensés des autres comme si elles étaint siennes. / J’ai de la pitié pour tous ceux qui pensent qu’ils sont importants / dans les yeux de ceux qui ne sont pont importants, / j’ai de la pitié pour tous ceux qui n’ont pas le courage de dire „Non”, / quand on ne peut pas dire „Oui”… / j’ai de la pitié pour tous ceux qui au banquet désirent être les mieux placés / j’ai de la pitié pour tous ceux qui sont jaloux des autres, qui sont vaniteux et ne peuvent pas guérir de leur orgueil. J’ai de la pitié pour tous ceux qui qualifient leur silence de principe. … J’ai de la pitié pour tous ceux qui pensent qui réussiront grâce au malheur des autres... J’ai de la pitié pour moi-même ... Ségneur... / je prie pour tous ces malheureux qui sont coupables de leur malheur. / Je prie pour que tu me sauves ...”
Les mots de ce poème sont certainement corrects, mais j’exagérerais si je les associais au papotage au bord du Lac Salé. Toutefois, j’ai envie moi aussi de crier à l’instar du héros de ce poème : J’ai de la pitié pour ceux qui se servent de pensées des autres en pensant qu’elles sont siennes, qui se servent des orgirinalités, sans y reconnaître de simples banalités, qui se servent de leur pouvoir, derrère lequel se trouve celui d’une autre personne, j’ai de la pitiés pour ceux qui haïssent les personnes qui ont plus de succès qu’eux-mêmes … On pourrait continuer ainsi à l’infini. Comme Mirko Kovač, je trouve néanmoins que personne « n’est obligé de m’accepter, qu’il n’est pas mal de n’appartenir à personne ». Au contraire ! A la différence de l’auteur de « L’Introduction à une autre vie », je ne m’adresse pas au Seigneur … Je n’ai pas pitié pour moi-même. Et ne prie pas non plus.
Heureusement, Mirko Kovač n’appartenait à personne ; autrement dit, il était écrivain pour tous, comme chaque grand écrivain universel ! Il n’y a pas très longtemps, Josip Osti m’a raconté une anecdote à propos de l’appartenance nationale de Mirko Kovac. Quand une jurnalitse lui avait demandé s’il était Serbe ou Croate, il a répondu : Oui !
Les vers cités ci-dessus m’ont incitée à feuilleter de nouveau le livre « l’Introduction à une autre vie », que l’écrivain m’allait offrir deux ans après notre rencontre à Tuzla, où il m’a écrit la dédicasse suivante : « Toute la matinée je suis hantée par tes vers Le jour auquel je ne crois pas je te l’envoie pour m’en débarrasser, t’aime ton … ». En le faisant, je me suis arrêtée sur un poème très sensuel ; cet érotisme n’est d’ailleurs inhérent qu’à Mirko Kovač écrivain ; il en est l’un des plus grands maîtres, toujours exitant, jamais vulgaire, et cela malgré des termes crus qu’il utilise :
Quand je vis cette veuve / En noir, pelurant son mari / je tremblai, ah/ …Elle se désabilla car je fus exité / Comme est elle bonne et raisonnable / J’étais puissant et mon sexe dur / A l’âge de puissnce / Touché moi aussi par cette mort/ Je décidai de la baiser / Penchée au-dessus du lac / Je criai / Et une ombre s’annoça des profondeurs du lac / Je pris ses seins qui tombaient / « Pas comme ça / Ne me pénètre pas trop profondémment » / Je me boutonnai jusqu’au cou /mais tout est toujours là/ Entre les deux rocs / des excréments de l'été et le sperme de la passion ... Il y a de l'or dans ses cheveux ... Je crois à cette branche de l'esprit ... je crois en une œuvre lue ... je crois en nid de son être ... Alors qu’au-dessus du lac pleure un mâle / Après l’oiseau qui plonge.
Je suis séduite par cet « or dans ses cheveux », me souvenant aussi d’une autre déscritpion très réussite dans sa nouvelle « La femme habillée en soleil » (« Sa tête est couronnée d’un flambeau de cheveux … »).
Très agrable et aimable avec les autres, Mirko Kovač n’a jamais été doux et clément avec des critiques littéraires ; aussi dans l’un de ses textes dira-t-il :
Le critique littéraire ne fait que songer à cravacher les écrivains, car il aimerait arranger le monde littéraire selon sa propre apréciation. Il t’ennoblie en artiste ou il te refuse le rang de celui-ci et sa médaille, il pense qu’un artiste est au service de littérature seulement pendant qu’il est à sa merci.
Il était encore plus impitoyable envers les intellectuels :
Il n’y a pas de kacha que des intellectuels n’ont pas préparée, il n’y pas d’ordure à laquelle ils n’ont pas participé, il n’y a aucune encyclopédie dans laquelle on pourrait placer toutes les cochonneries faites par des poètes, des artistes ou des philosophes. Quoique nous le sachions, nous sommes choqués de voir un intellectuel - qui parle souvent en public et qui a de l’influence dans la société -, se mettre du côté du mal. Et chaque fois nous sommes persudés que l’Histoire n’est pas la maîtresse de la vie… Ces intellectuels ne sont touchés par les contradictions idéologiques que s’ils y trouvent un germe de déstruction.
Mirko Kovač savat très bien que ces gens, lorsque la « danse de diable se tait », trouveront des mots d’excuse pour leurs « bêtises » et leur « baratin ». Ils sont toujours prêts à se moquer de tout ce qui est humain, et surtout des victimes. L’homme qui a du respect pour lui-même fera attention à se tenir loin du cinisme, au moins quand il s’agit des victimes, mais les misérables ouvriront facilement leur misérable âme justement à propos de ce sujet, conclut Kovač dans l’un de ces textes brillants, en articulant ainsi mon propre point de vue.
Kovač parassait en forme ces jours-là, passés à Tuzla, loin de chaque idée de la maladie dont il sera victime peu de temps après ; moi aussi j’étais de bonne humeur et ne cessais de plaisenter, me pavanant devant mes camarades de plumes, qui ne cessaient pourtant de m’interrompre. A un moment donné, le poète Mile Stojić s’exclama : J’étais sûr que cet auteur aurait le prix (il pensait au lauréat de cette année), je le savais.
– Comment pouvais-tu le savoir ? As-tu lu son roman ? lui demandai-je.
- Non, je ne l’ai pas lu, répondit-il, mais j’étais plusieurs fois membre d’un jury et je sais comment ça marhce. Je t’ai dit, Irfan, que c’est lui qui aurait le prix, n’est-ce pas ?
Irfan Horozović, président du Jury, lui répondit : - Mais moi, je t’ai répondu : on verra bien, n’est-ce pas ?
Je restai bouche bée, non parce que je venais d’apprendre une vérité que j’ignorais, mais parce que j’étais témoin qu’on ne se gêne pas à la dire à haute voix. Je suis persudée sans avoir de vraies preuves que ce poète n’a jamais lu mon récit l’Empire des ombres, lorsqu’il était membre du jury, au moment où ce livre, que Mirko Kovač a tant aimé – était en jeu. (Je préfère à me tromper, ainsi, j’espère que je me trompe cette fois-ci également.) En 2008, ce prix, Meša Selimović a été décerné à Mirko Kovač pour son formidable roman « La ville dans le miroir » (Grad u zrcalu). En été de cette année, un ami, qui ne faisait pas partie du jury, m’a révélé le secret que ce prix était réservé alors pour Mirko Kovač ; malgré ma lucidité, je le trouvai choquant. Il va de soi que Mirko Kovač n’y était pour rien, et je suis sûre e qu’il ne se comportait pas de la sorte lorsque lui-même était membre d’un jury. Cette fois-ci, j’ai des preuves que mon jugement est exacte, sûre aussi qu’en 2009, lorqu’il était lui-même mebre du Jury avec Filip David et Irfan Horozović, que ce prix n’ait pas été reservé a prirori à qui que ce soit. A en croire les médias ex-yougoslaves, le fait de « réserver » ce prix préstigieux pour un écrivain deviendra désormais presque une tradition.
Mes amis faisaient éloge non à la qualité de l’oeuvre du lauréat, mais de la beauté du jeune homme. Un vrai étalon ! dis-je à haute voix. Aaa, tu n’aimes pas de beaux hommes ?!, plaisanta Kovač. C’est vrai, je préfère ceux comme toi, répondis-je sur le même ton de plaisanterie. A ma grande surprise, Kovac ne trouva pas ça drôle et ma réponse le fit taire comme une carpe, alors que quelques secondes auparavant il riait, heureux, aux éclats. Il y avait dans ce silence l’écho de cette réplique que je connaissais déjà « je n’aime pas qu’on me fasse des éloges, je préfère qu’on m’attaque », on y reconnaissait aussi des répliques des hommes qui ont peur en général de toute sorte de « sympathie » et de « faveur » exprimés à haute voix. Ses pensés à propos de la sympathie, Mirko m’expliquera tant de fois aussi dans ses lettres qu’il allait m’envoyer plus tard. Tous ses livres d’ailleurs pullulent de ce genre de messages. Soudain, je me suis rappelée que « le sexe plus fort » en général craint ce genre de plaisanteries ; ainsi jeune étais-je plus protégée que tant d’autres filles grace à celles-ci et n’étais pas obligée d’avoir peur d’être vioilée ?
Le silence de notre écrivain ne me rendit pourtant pas confuse et perdue, bien que je fûs étonnée qu’un aussi bon auteur, surtout du livre « L’écriture ou la nostalgie », où il s’était montré un fin psychologue, n’était pas en mesure de reconnaître une plaisenterie. Sans être intimidée, et ne faisant pas attention à son antipathie pour les éloges, j’ai continué à jeter des fleurs à Kovač à propos de ses deux livres que j’avais lus avant de venir à Tuzla. Je lui ai dit qu’avec l’âge, il écrivait de mieux en mieux, et lui ai félicité de sa façon formidable de nous transemettre ses pensées et ses impressions en forme d’écritures, à la différence de bien d’autres écrivains qui après quelques bons ouvrages, nous livrent souvent des textes ratés.
Je crois que mes flatteries étaient garnies de bêtises sous l’effet du vin blanc, ce qu’affirmait le rire assez malicieux de mes amis de plume qui ne cessaiaent de se moquer de moi. Puis, Mirko Kovač devint très sérieux pendant que j’évoquais certains écrivains, ses anciens amis, qui étaient aussi mes connaissances et se mit à me confier des secrets « que je n’ai jamais dévoilé à personne », souligna-t-il. Je ne les ai jamais transmis non plus. Je me souviens que j’étais pourtant surprise une fois de plus de le voir et entendre se confier à quelqu’un comme moi qu’il ne connaissait pas bien. Lui, qui parraissait si méfiant ! A-t-il compris que je ne répéterais pas ce qu’il me disait, ou avait-il l’habitude de dire des secrets à des inconnus ? Ce que je savais c’est que le vin parlait à ma place, ce qui n’était pas son cas, car il ne buvait presque pas ; il semblait être quelqu’un de très sombre et lucide. A ma question s’il avait l’habitude parfois de s’enivrer, il me répondit : J’étais toute ma vie entourés d’ivrognes, mais moi, je n’ai jamais bu, ou très peu.
C’était ma dernière rencontre avec Mirko Kovač, après quoi nous avons échangés quelques lettres courtoises.
Bien des mois après, nous avons commencé à mener une véritable correspondance. On peut dire que c’était grâce à sa maladie qui lui tomba dessus.
Dans mes lettres, il aimait le plus mes poèmes que j’y rajoutais et se montrait fâché avec nos critiques qui ne les évoquaient pas. Dans l’une de ses lettres, il me disait ceci :
Chère Jasna, tu m’as ravi. Sincèrement, le plus sincèrement, tes poèmes sont géniaux. Šalamun avait raison de te le dire lui aussi. Je suis un "maniaque de poésie", si j’ose dire. … Tu montres une grande maîtrise, que ce soit le choix des mots pour décrire cette érotique agréable, ou le choix de thèmes et de musique - tout y est parfait…. Je crois que tes collègues, des poètes de Bosnie, étaient obligés de souligner l’importance de ta poésie, alors que je ne leur ai jamais entendu dire quelque chose à ce propos. Je trouve qu’aucun d’entre eux n’écrira jamais des poèmes tels que Le Pont, Ma ville natale, Venise, - que dis-je, ils n’écriront jamais un seul poème aussi bon que les tiens. Envoie –moi vite tout le manuscrit.
Puis, il ajoutait : On peut t’aimer ou pas, ça n’a aucune importance, mais si quelqu’un est écrivain, et poète, il doit savoir que tes poèmes sont magnifiques.
Et ainsi, plusieurs années de suites, il me dira à peu près la même chose. Il aimait aussi mon livre « L’Empire des ombres » et m’a écrit des pages très élogieuses là-dessus.
Après avoir échangé des pages et des pages d’épistolaire avec lui, je pourais moi aussi dire que notre amitié, et tout ce qui se passait, me parait parfois comme une histoire racontée par quelqu’un d’autre, qui n’est pas la mienne.
Chacun sait qu’on peut connaître le mieux une personne à travers ses lettres. Dans le même temps, nous sommes tous conscients que personne n’a jamais vraiment connu qui qui ce soit et que nous avons tous « un double fond ». Ainsi, Mirko Kovač dira : „J’ai connu tant de choses, sans jamais me connaître”, ajoutant que personne d’entre nous ne possède des moyens précis pour pouvoir se juger de façon juste.
Dans ses livres, l’écrivain vairiait presque les mêmes thèmes inspirés tantôt par son père, tantôt par sa mère, parfois par les deux, ainsi que par les habitants d’Herzégovine et de ses bleds perdus dans la nature. Il m’a confirmé cela dans ses lettres. Nombre de lecteurs trouvera ses ouvrages autobiographiques, alors que Mirko Kovač s’y opposé viollement. Une fois, il m’a écrit qu’il aimerait bien écrire un jour son autobiographie, mais « que c’est quelque chose de très délicat et difficile » ; selon Nabokov, que Kovač citait souvent, ce n’était même pas possible. De nombreux écrivains peuvent tomber malades si on les associe tout le temps à leurs héros. L’un de ces derniers est Philipp Roth qui était si fâché avec des critiques à cause de leur façon de le lire, qu’il avait un jour quitté New York et partit vivre, plus exactement « se cacher à la campagne ». Toutes les histoires sont toujours partielles, car il n’existe pas d’histoires complètes ; et même si elles existaient elles ne pourraient pas être racontées. Utilisant des documents, l’auteur est tout le temps terrorisé par la question : croira-t-on à la véracité de son histoire ? écrivait Kovač dans son Pisanje ili nostalgija.
Après avoir découvert l’écrivain, j’ai aussi découvert Mirko Kovač l’homme, qui m’a beaucoup plu. Tant de fois il a articulé ce que je n’étais pas capable de faire et à ce que je croyais moi aussi, comme à cette constatation qu’il est cruel envers le monde extérieur celui qui séjourne dans les abîmes de son âme.
Miro Kovac dira cela de la façon suivante :
Dans ma vie, Dostoïvski a joué plus grand rôle que mes parents, que les femmes avec lesquelles je partageais ma pauvereté, que le temps où j’ai vécu, que l’Histoire, cette horrible poison de la littérature qui ne cessait de se pavaner à la cour de mon talent. Je croyais de plus en plus qu’en dehors de livres, la vie n’existait même pas, et si elle existait, cette vie ne m’intéressait pas. Il y a longtemps que quelqu’un nota que la seule chose claire restera non ce qui est dans notre mémoire, mais ce qui est dans l’éternité. L’homme préocuppé par les profondeurs de son être, l’homme qui réside dans les abîmes de son âme, devient cruel avec ce monde extérieur et banal.
L’épistolaire est un genre qui m’a toujours attirée, tandis que l’un des plus beaux livres pour moi est la correspondance entre Marina Tsvetaeva et Reiner Maria Rilke, où les lettres de Marina représentent de véritables poèmes. Ce livre est intitulé en français Est-ce que tu m’aimes encore ? ; je l’ai relu à plusieurs reprises, et j’y reviens tout le temps, le lisant en fait comme on le fait avec toute belle poésie.
Pendant ma correspondance avec Mirko Kovac qui a duré jusqu’à sa mort, j’avais tout le temps en tête cette correspondancee. J’y ai pensé non parce que je me comparais à Marina, quoique ma frustration de ne pas voir le visage de celui à qui je m’adressais ne soit pas moindre de la sienne, mais parce que je craignais que nos lettres ne vivent le même sort que celles de Tsvetaeva et de Rilke. Et chacun sait que ce livre se termine avec la mort de Rilke.
Ce que je craignais, arriva. La fin de ma correspondance avec Mirko Kovac fut aussi la fin de sa vie. C’était la mort d’un écrivain qui, à l’instar de Rilke, « connaissait par cœur des cieux ».
Dans nos lettres, nous avons parlé de tout : à partir des livres que nous lisions, en passant par les rêves que nous avons eu en dormant, ou les yeux ouverts. Comme si nous ne faisions que « confasser l’un à l’autres nos vies qui faisaient mal ».
Je me rappelle sans cesse les mots que Mirko m’écrivit à la fin de sa vie (ayant perdu nos lettres): « Envoie-moi nos lettres, peut-être trouverons-nous du temps de les relire et de nous rendre compte que ce n’était pas une simple correspondance » !
Dans le même temps, je suis hantée par une autre pensé : d’avoir été tout le temps une sorte de Portugaise religieuse. J’ai le sentiment que je me suis trouvée dans ce même rôle plusieurs fos dans ma vie. Ou bien, était-ce le fruit de mon imagination ?
Notre correspodnace dura quelques années ; entre temps, Mirko m’avait envoyé tous ses livres que j’ai tous lus parois pusieurs fois de suites. Chacun de ces ouvrages a laissé une profonde trace dans mon âme. J’étais bouleversée, tout en prenant un grand plaisir dans la lecture de ses textes, mais aussi de ses dédicasses. Parmis tous ces ourages, c’est toujours « L’écriture ou la nostalgie » qui me marque le plus, bien que j’approuve les mots de l’écrivain que son receuil de nouvelles, intitulé « Les roses pour Nives Kohen » représente le meilleur de ce qui a jamais été publié ; ce livre est aussi le meilleur ce qu’un écrivain ait jamais écrit dans cette forme. Dans l’une des nouvelles, Mirko Kovač dira quelque chose qui ne cesse de me hanter et de m’ensorceler, quelque chose que je sens moi aussi, à l’instar d’un mystique qu’on peut reconnaître chez Mirko également :
Les autres regardaient le monde auteur d’eux, tandis que moi, je puisais dans mes rêves, dans mon inconscient, et dans les profondeurs de mon être. Si vous voulez bien, j’étais fâché avec la vraie vie. Aujourd’hui je puis dire sans crainte que mes rêves représentent la seule clareté dans cette vallée trouble de la vie. Parfois, je pense que tout ce qui s’est passé n’était qu’un interminable rêve, un rêve duqeul on ne se réveille pas, ou que ce n’était que l'éveil dans le sommeil.
Si toutes les histoires existent, « pour qu’on y rajoute d’autres », comme disait Mirko Kovac, alors l’histoire qui pourrait être relatée d’après les lettres que nous avons échanghées, attend encore d’être racontée un jour. Malgré cela, comme dans chaque d’autres histoires, « il y manquera bien de choses ». Et ainsi à l’infini, jusqu’à ce que de vrais événements en deviennent des rêves. Il va sans dire que notre plus proche “sera celui avec qui nous avons partagé un bout de cigarette”.
A l’image de la Portugaise religieuse, je prenais un grand plaisir à écrire à « mon marin » qui pensait, pour sa part, que notre correspondance resterait l’unique témoignage de sa maladie. A l’instar d’une Shéhérazade moderne, moi aussi, je lui ai envoyé mille et une images, mille et une photos, mille et un poèmes …
A la fin, comme si Shéhéerazade fut lasse, sentant l’absurdité de ses propres mots, de ses vers, des mélodies et images envoyés, elle se tut brusquement … Ou était-ce un mauvais présage qui se manifesta sous forme d’une grande fatigue ressenti dans mon corps et dans mon âme ? Ce jour du mois d’août 2013, le vide inattendu se répandit dans tout mon être sans laisser de place à un seul mot.
„L’écrivain n’a d’autre testament que ses livres. S’ils ont de la valeur, il aura des héritiers”, écrira Mirko Kovac dans l’un de ses ouvrages.
Je me souviendrai toujours de l’un de ses poèmes du livre « L’introuduction à une autre vie », écrit en 1972, qui était une sorte de prélude pour l’enfer que nous allons vivre tous dans les années 90 :
…J’y resterai seul pendant que tout est endormi / Le chaos se prépare à venir / De nombreux lits seront en flamme / Alors que je vivrai le temps / Qu’il me faut pour tout oublier …Personne ne se sauvera / Dans ce pays sans fondements …Nous sommes des prisonniers de nos ténèbres …”
Tant de pensées de Mirko Kovač resurgissent devant moi pendant que j’écris ces lignes ; ce sont des pensées que j’ai lues soit dans ses lires, sot dans les lettres qu’il m’envoyait, me rappelant également de nos rencontres ephémères, mais je ne cese de penser aussi à Marina Tsvetaeva et son épistolaire avec Rilke, qu’elle n’a jamais rencontré.
Si tu es mort, alors la mort n’existe pas, s’exclamait pathétiquement la poétiesse dans sa dernières lettre, écrite posthume à Rilke.
Que ces mots soient aussi mes derniers que je pourrais dire posthume à un grand écrivain et à un grand homme, qu’était Mirko Kovač.
Le poème de Mirko Kovac consacré à Jasna Samic
Mirko Kovac
TOI NOSTALGIQUE DU VELOUR
à Jasna
Toi qui attends une voix,/ belle et douce, empreinte de tendresse/ une nouvelle suave, légère comme une plume, /offrande pure comme une vierge,/irréelle, sans corps, fine et sublime: Beauté,/ Grâce mystique./ inaccessible et possible, chimérique car elle t’échappe, penses-tu; /tu veux le saisir, le sublime cadeau, le sentir et palper,
caresser et posséder,/ ne serait-ce qu’un instant?/ instant que tu prolongeras dans ton souvenir devenu tangible,/ puis tu voleras avec lui, emporté par lui.
Peut-être le tiens-tu déjà – cet objet sans nom, en le caressant, / signe de quiétude, telle la tombée de jour, le désirant tant,/ et le désir n’est-il pas lui-même signe de vie,
soif née de rêves tendres et suaves/ - quel nom lui donnes-tu ? -, alors qu’une sublime beauté se posera bientôt / tel un oiseau blanc dans tes bras,/ la colombe qui t’apportera un doux cadeau,/ douce offrande portant tendre nouvelle: / tu t’envoleras prochainement / là où ton désir te porte. / Si tu touches cette offrande sans nom,
elle reviendra autrement / que celle de ton rêve.
/ D’abord, tu ne verras pas / ton rêve devenu réel,/ mais vite comprendras : il viendra comme un signe,/ ou peut-être chose vraie, / tu lui insuffleras la Beauté, saveur et tendre passion, ravissement et joie, rayonnement et paix :
ton éternel rêve; / seraient-ce un calme angélique, quiétude et douceur
célestes que tu rejettes à présent. / C’est ta Beauté que tu veux toucher
Qui prendra des ailes/ C’est ta poésie / Velours de ton âme nostalgique
L’hirondelle soyeuse que jadis tu caressas./ Cela tient à toi de choisir comment et quand / Tout cela sera incarné
(Rovinio 2011)
A l’instar de Marina Cvetaeva J’ai toujours ressenti ma bouche comme un monde : voute celeste, grotte, gorge, gouffre. J’ai toujours traduit … mon corps en âme …
Voici ma réponse en poème consacré à Mirko Kovač :
DANS VOS RUINES
QUEL PLAISIR
Vous ai-je dit/ Qu’à me promener en vos ruines/ J’ai pris tant de plaisir
Et j’y retournerai flâner/ Comme sur un tapis de mousse
Mes propres rivages/ Depuis longtemps sont dévastés
De même que l’auberge/ Où je suis descendue/ Avec le fantôme de mon rêve
Votre ville est touchante/Votre portrait certes juste/ Mais votre Dieu irrésistible/ Comme l’amant d’Hathor/ Sur ma propre terre
Plein de charme est aussi votre pâtre/ Allongé sur le flan dans l’herbe
Avec son sexe en main/ Qui achève noblement sa journée/ Par les gouttes luisantes de semence
Sans doute êtes-vous jeune car / Vous proposez l’ouverture solennelle
Du corps de la jeune fille/ Sans cesse fixant la femme
Qui tiens dans sa main son sein rebondis et/ La jeune mariée à peine dépucelée / Qui court pour se confesser
Vos ruines sont luxuriantes/ Pleine de richesses votre église
J’y allumerai une bougie / Inhalerai de l’encens/ Et muée en religieuse
Dans le secret des ténèbres / Je baiserai votre Dieu
Nul mal ne s’ensuivra / Puis je reviendrai à mes propres dieux / Trouverai Shamashem/ Guérisseur des plaies / M’enfermerai dans l’Avesta / Où avec les anges/ Je me livre à la débauche/ Et d’en haut je sème/ Depuis longtemps / Sur les inconnus de mes rêves/ Les flocons tremblants
De ma jeunesse
J’aimerais vous présenter / La dame en noir / Née de gouttes de sang
Du phallus divin / Avec elle souvent je vogue sur la Seine/ Quand les quais sombrent dans la nuit
Avec la danse des vierges houris/ J’emplirai de romances / Vos ruines et les miennes/ Et vous présenterai mon fantôme / Qui de son chant voluptueux
Décore mes rêves / Nul arc morbide / Sous ma coupole ! / Et pas la moindre envie / De fuir mes souvenirs / Pas plus que vos ruines
Avec la Valse sentimentale / Sur laquelle j’ondule, / J’ornerai mon Eden
D’images de vos chants / Avec ma suite et mes pages / Je danserai comme si je glissais / A travers vos poèmes/ Ainsi que jadis avec un ami je valsais
Aux arènes d’Alexandrie / Dérangeant le Sphinx / Dans ses propres ruines
Alors qu’à la radio Rina Ketty / Susurre encore/ J’attendrai toujours
Je ne fuirai pas / Les souvenirs sont devenus/ Ma couche la plus douce
Et les dieux, mes amants / Vous ai-je dit/ Qu’à me promener dans vos ruines/ J’ai pris tant de plaisir/ Écoutant la chanson/ J’attendrai toujours
Dans la nuit / Ton retour
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