Jasna Samic

SARAJEVO FILM FESTIVAL

         

Jasna Samic, born in Sarajevo, lives in Paris where she writes in Bosnian (serbocroate) and French. She has published novels, short stories, poetry, theater plays, essays. She is also director and writer of documentary films.

Jasna Samic, née à Sarajevo, vit à Paris où elle écrit en bosniaque (serbocroate) et en français. Elle a publié des romans, nouvelles, poésie, pièces de théâtre, essais; elle est aussi metteur en scène et l'auteur de films documentaires.

 


SARAJEVO FILM FESTIVAL



Le Festival du film de Sarajevo est un festival de cinéma qui se déroule dans la capitale bosniaque, Sarajevo. Pour ceux qui ne le connaissent pas, le festival a été crée en 1995, pendant le Siège de la ville (qui a duré quatre ans environ).

C’est l’un des plus importants festivals de la Région (nom donné au regroupement des anciennes républiques yougoslaves, mais concerne aussi l’ensemble des pays des Balkans). Il est populaire dans cette partie du monde non seulement à cause de nombreux films qu’on y peut voir (ce sont souvent de nouvelles productions), mais aussi à cause des stars du cinéma du monde entier qui y défilent. Il y a là aussi le campus de talents (Talent campus) organisé pour de jeunes cinéastes et des ateliers tenus par les plus grands réalisateurs de la Planète. Les cinéastes qui se rendent régulièrement à Sarajevo pour ce festival son nombreux et sont tous touchés de nos jours par la ville martyre, qui a pendant des années souffert sous les bombes des barbares serbes.

Cette année, 2014, le festival était, à l’instar des années précédentes, riche en films, malgré la crise qui frappe le pays depuis longtemps ; les genres présentés étaient variés, les célébrités y étaient cette fois aussi au rendez-vous, telle que Bérénice Béjo, ou Michel Hazanicius, pour ne citer que ces derniers.

C’est Béla Tar qui était le président du jury pour le programme en compétition.

Quant aux films régionaux, il n’y avait pas grand chose à voir ni à remarquer, tandis que les films étrangers étaient presque tous intéressants, et ont presque tous eu beaucoup de succès auprès du public sarajévien.

Cure d’Andrea Staka est l’un des rares films produits par des pays ex-yougoslaves qui a été projeté au festival. De quoi s’agit-il ?

On est en 1993, après le siège de Dubrovnik. Une adolescente, Linda, revient en Croatie de la Suisse où elle était réfugiée avec son père. Sa nouvelle amie, Eta, l'emmène un jour dans la forêt qui surplombe la ville. Les filles se mettent à jouer un jeu assez pervers, obsédées, toute les deux, par la sexualité. Ce jeu conduira l’une des deux à une chute fatale. Le lendemain matin, c’est Linda qui reviendra seul. Lentement, elle commencera à prendre la place de l'Eta dans sa famille. …

Un film sans rythme, sans charme, assez pervers.

Mostovi Sarajeva ou Les ponts de Sarajevo est, par ailleurs, un film faits de plusieurs court-métrages, de différents réalisateurs, dont l’un est d’Aida Begic, jeune cinéaste de Sarajevo. Tous ces films sont très ennuyeux, quoiqu’on y trouve aussi un « Pont » de Jean Luc Godard. Ces films ont été aussi projetés à Cannes dans la sélection Special Screenings.

Je n’évoquerai ici encore que quelques films en dehors de la compétition qui m’ont frappée :

Winter sleep et son réalisateur, Nuri Bilge Ceylan, en fait partie. Celui-ci (intitulé en turc Kis uykusu) est le dernier film du cinéaste turc qui a eu le Palme d’or à Cannes en 2014. La première fois, ce cinéaste turc a été sélectionné à Cannes avec son court métrage, Koza (1995), puis il a attendu plusieurs années pour y revenir avec Uzak, en 2003.

Un critique de cinéma français dira de Nuri Bilge Ceylan et son art, ainsi que du film turc en général, le suivant :

« Quand le surprenant Uzak (Lointain, 2003) a surgi telle une bombe dans le désert d’une cinématographie turque qui fut flamboyante mais avait alors perdu toute créativité. Depuis la palme d’or à Yilmaz Güney pour Yol, en 1982, suivie en 1983 par le Mur, aucun film turc n’avait émergé à Cannes. Uzak y est alors apparu comme un symbole de renaissance et Nuri Bilge Ceylan a pu y montrer ses films suivants en compétition: Iklimler (les Climats, 2006), Üç Maymun (les Trois Singes, 2008), Bir Zamanlar Anadolu’da (Il était une fois en Anatolie, 2011). Tous ont été primés. Jusqu’à Winter Sleep. Sublimement. »

Si les uns qualifient le film Kis uykusu de Ceylan d’une « fresque humaine bercée de mélancolie », et les autres d’un film proustien, ils sont tous d’accord pour dire que c’est l’un des meilleurs films réalisés ces derniers temps. Moi même j’en suis convaincue.

Les plans larges des montagnes turques qui servent de décor du Winter sleep, puis les plans rapprochés des comédiens, les dialogues inspirés par Tchékov, la psychologie dans laquelle l’œuvre baigne, ainsi que toute l’ambiance, elle aussi tchekhovienne, sans compter les acteurs, tous excellents, font de ce film un chef d’œuvre. Le film est d’ailleurs adapté de plusieurs nouvelles du célèbre écrivain russe, où la parole littéraire joue un rôle prépondérant. A l’image des nouvelles de Tchekhov, « rien » ne se passe ici non plus, mais tout y est dit.

Voici un hôtel perdu dans la montagne, tenu par Aydin, homme d’un certain âge, ancien acteur de théâtre devenu riche propriétaire par héritage. Deux femmes habitent avec lui, sa sœur, réfugiée là après son divorce et sa jeune femme, Nihal.

Un journaliste français en dira ceux-ci : « Enserrée dans la roche, l’habitation plait autant aux touristes (le couple de Japonais) qu’elle est un carcan, conscient ou inconscient, pour le trio qui y vit à l’année (d’autant plus en hiver et son hibernation forcée). … Aydin (Haluk Bilginer, qui livre une prestation marquante) passe beaucoup de temps dans son bureau, creusé à part, et véritable mausolée du passé : les murs sont tapissés d’affiches de ses anciennes pièces de théâtre qui côtoient les reliques masquées d’un temps révolu (mises en valeurs par l’utilisation du Scope). Sa sœur se languit (position horizontale récurrente) et étouffe dans ce qu’elle considère comme un trou perdu. Quant à Nihal, on apprend qu’elle possède son propre côté de la demeure, cette séparation géographique avec son mari fait écho à celle, intime, d’une relation particulière où chacun doit rester à sa place. Ce qui sera explicité lors de la scène de la réunion des donateurs où elle lui demande de quitter la pièce. De la même façon, lors de la visite de l’imam et de l’enfant vengeur, les femmes demeurent à table dans l’espace cuisine tandis qu’Aydin prend les choses en main, tel un seigneur prêt au baisemain, dans le salon. …C’est précisément une de ses sorties hors de l’hôtel, dans la vallée, qui va être le premier déclencheur d’un bouleversement en profondeur. Aydin quitte sa tour d’ivoire pour se retrouver malgré lui confronté à une réalité qui ne l’intéresse pas. »

L’intrigue n’a pas d’ailleurs beaucoup d’importance, car tout y est intrigue et son contraire. Quoi qu’il en soit, c’est un film à voir et à revoir. Sa longueur nous berce et incite en nous le désir de prolonger à l’infini ce rare moment de bonheur que le film nous procure.

En ce qui concerne le film The Search , également présenté au SFF, il s’agit là du nouveau film du réalisateur du film The artiste, Michel Hazanivicius, où joue, comme dans the Artist, la très sympathique et charmante Bérénice Béjo. C’est un film beaucoup plus « sérieux » que le précédent, une œuvre sur la guerre et sur la Tchétchénie. Si on peut dire que les films de guerre sont nombreux, en revanche, c’est le premier et l’unique film sur ce pays détruit par la guerre où « tout n’est qu’urgence », où « les gens ont besoin de tout ». Le film est intéressant et bouleversant, mais loin d’un très grand film, malgré le jeu admirable des acteurs, surtout du petit garçon, qui un jour de bombardement du pays, vers 1999, se retrouvera seul au monde, sans parents et sans sa sœur. Il sera accueilli par Bérénice Bejo (Carole dans le film), chargée de missions divers et travaillant pour un ONG. Et c’est grâce à cette dernière que le garçon sera sauvé, en « revenant doucement à la vie », et retrouvera à la fin sa sœur.

La critique en dira entre autre ceux-ci :

« Hazanavicius voulait incarner l’horreur de la guerre dans son nouveau film, et voilà chose faite. Caméra à l’épaule, le voilà parti pour raconter et filmer l’horreur de la seconde guerre de Tchétchénie et les exactions de l’armée Russe à travers les destins croisés de quatre personnages, Hadji, Carole, Raïssa et Kolia. C’est en tombant sur l’original de 1948 de Fred Zinnemann sur le traumatisme de la guerre, que le réalisateur à décidé d’en faire à son tour, un film romanesque, qui a du souffle et des sentiments. Un film de guerre et un pur mélo qui se pleure en quatre langues. Les images sont brutes, parce que la guerre est brutale et qu’il n’est pas question de l’éviter, même à travers le regard d’un enfant de 6 ans. Le réalisateur s’inscrit dans la même démarche que son prédécesseur et veut aussi mettre le cinéma au service des drames humains qui le touchent. Par ailleurs, Hazanavicius ne s’est pas contenté de transporter le film de Zinnemann, il en a apporté sa touche personnelle. »

Un seul court-métrage me touchera au SFF, aussi est-il le seul qui d’après moi mérite d’être évoqué ici : c’est un film sur Tchernobyl, ou plus exactement sur un couple qui y travaillait avant que la centrale nucléaire soit fermé. Ce ne sont d’ailleurs pas des êtres humains, mais des automates, qui feront du matin au soir les mêmes gestes, et même lorsqu’ils feront l’amour.

Le cadre de ce film est beau dans son horreur, comme tout le reste d’ailleurs de celui-ci.

Je n’y rajouterai qu’il m’a fait penser à un autre film russe, aussi excellent que celui-ci, et que j’ai vu l’année dernière (2013) au même festival, qui est un film sur la mafia russe et le sort d’un homme âgé qui travaille pour l’un des mafieux en brûlant les chaussures….

J’espère que le prochain SFF sera encore plus intéressant que celui de cette année.

Ce sera une occasion de plus pour la ville ne pas se coucher du tout. Ces jours-ci, Sarajevo vit la nuit !