Paul Garde

La culture des Slaves du Sud et l’Europe

         

Paul Garde, né à Avignon, est un universitaire (slavisant) français. Il était professeur de langues slaves à l’Université d’Aix-en-Provence et a enseigné également dans les universités de Yale, Columbia et Genève. Il est notamment spécialiste des Balkans, dont traitent la plupart de ses œuvres des vingt dernières années : Journal de voyage en Bosnie-Herzégovine - Octobre 1994, La Nuée bleue/DNA (1995), Les Balkans, Flammarion, 1e édition : 1994 - rééd. 2010 ; Fin de siècle dans les Balkans 1992-2000. Analyses et chroniques. Paris, Odile Jacob, 2001 ; Le discours balkanique. Des mots et des hommes, Fayard, 2004, ainsi que de nombreux articles. Son livre Vie et mort de la Yougoslavie (Fayard, 1992) est considéré comme un ouvrage de référence non seulement pour les observateurs, mais aussi pour les acteurs de ces événements (Paul Garde a été cité comme témoin-expert au Tribunal pénal international de La Haye). Par ailleurs il a publié depuis cinquante ans de nombreux ouvrages de linguistique, et une traduction de poésie russe.

 

 

Paul Garde

La culture des Slaves du Sud et l’Europe
in Antoine Marès (éd.), La culture et l’Europe. Du rêve européen aux réalités,
(Colloque international organisé par l’Institut d’Etudes slaves le 31 mars 2005)
Paris, Institut d’études slaves, 2005, p. 159-168.

 


La “culture des Slaves du Sud“ est un concept plus complexe que ceux de “culture russe“ ou “culture roumaine“, examinés par ailleurs dans notre colloque. Chacun des ensembles désignés par les mots “russe“ et “roumain“ peut être facilement défini par cinq critères à peu près convergents. Critère politique : la Russie et la Roumanie sont des Etats. Critère de psychologie collective : chacun des peuples russe et roumain a conscience de former une nation. Critères linguistique et socio-linguistique : les langues russe et roumaine représentent chacune, non seulement un ensemble de dialectes proches parents les uns des autres, mais aussi une “langue standard“ (ou “littéraire“), c’est-à-dire un outil de communication unifié et normalisé, ayant servi de véhicule à une littérature commune à chacune des deux nations. On peut ajouter un critère religieux : il existe, dans le cadre de l’orthodoxie, une Eglise russe et une Eglise roumaine. Bref, sur tous ces plans, on peut parler d’une unité russe ou roumaine, et, pour chacun de ces deux peuples, d’une culture, dont on peut examiner le rapport avec l’Europe.
L’ensemble des “Slaves du Sud“ peut être tout aussi rigoureusement délimité, mais à condition de s’en tenir à un seul critère : linguistique (au sens strict). C’est seulement de ce point de vue que la notion de “slave“ a un sens précis : le slave est une famille de langues marquée par une origine commune et des ressemblances multiples évidentes, depuis longtemps étudiées dans le moindre détail. Au sein de l’ensemble slave, le sous-ensemble “du Sud“ n’est pas seulement délimité géographiquement, par sa situation au sud de la longue bande de territoires non-slaves englobant, au fil du Danube, l’Autriche, la Hongrie et la Roumanie. Il l’est aussi, sur le plan linguistique, par le fait qu’il constitue un continuum dialectal sans barrières, au sein duquel l’intercompréhension est, de proche en proche, parfaite, et, même à distance, assez facile.
Mais aucun des quatre autres critères examinés plus haut ne manifeste une unité des Slaves du Sud. Le plus évident est le critère religieux, selon lequel ils se divisent en orthodoxes, catholiques et musulmans. C’est cette division qui a eu depuis longtemps les plus grandes implications culturelles. Le recul relatif des convictions religieuses au XX° siècle n’a pas atténué ces divergences, bien au contraire. En outre les orthodoxes sont partagés entre diverses obédiences : patriarcat serbe, bulgare, aujourd’hui Eglise macédonienne… Sur le plan socio-linguistique, la standardisation des langues a connu bien des avatars. On a parlé au XIX° siècle de trois langues : bulgare, serbo-croate et slovène, mais le macédonien s’est depuis 1945 différencié du bulgare, le serbe et le croate ne s’étaient jamais complètement unifiés et divergent aujourd’hui à nouveau, on parle depuis peu du bosnien et du monténégrin… Le nombre des Etats sud-slaves a varié au cours de l’histoire. Pour s’en tenir aux derniers siècles et aux Etats indépendants : il n’y en avait aucun au XVIII°, sauf peut-être la république de Dubrovnik ; trois au XIX° (Serbie, Monténégro, Bulgarie) ; deux au XX° (Yougoslavie, Bulgarie) ; enfin sept au XXI°, après l’éclatement de la Yougoslavie en six Etats slaves (sans compter un septième non-slave, le Kosovo). Quant au nombre des nations, c’est-à-dire des communautés animées, comme dit Renan, par la “volonté de vivre ensemble“, il a fluctué lui aussi au cours des deux cents dernières années, sous l’influence de tous les autres phénomènes énumérés. Quatre identités nationales étaient déjà fermement établies au XIX° siècle : Bulgares, Serbes, Croates, Slovènes. Trois autres se sont affirmées au XX° : Macédoniens, Monténégrins, Bosniaques (musulmans).
Et les cultures là-dedans ? Bien fou qui prétendrait les dénombrer. La culture dépend de tous les facteurs énumérés ci-dessus. Les langues vernaculaires et, à plus forte raison, littéraires, les religions et les nations sont des phénomènes intrinsèquement culturels, au sens anthropologique du terme, et l’Etat, qui, lui, n’est que politique, s’entend fort bien, surtout à l’époque moderne, à agir sur la culture. Tout ce que nous pouvons faire, c’est examiner, au cours de l’histoire, l’action de ces différents facteurs, et montrer comment, d’un point de vue ou d’un autre, tous les Slaves du sud sont liés à l’Europe. Pour bien faire, il faudrait définir aussi ce que sont l’Europe et la (ou les) culture(s) européenne(s) : on nous pardonnera de reculer devant une tâche aussi gigantesque.
Le concept de “slave“, avons-nous dit, est purement linguistique. C’est vrai en ce sens qu’aucune autre science n’a de critère précis pour déterminer qui est slave et qui ne l’est pas. Quand on parle d’“âme slave“, de “type physique slave“, c’est par métonymie : il s’agit de traits communs à un grand nombre de Slaves, mais qui ne sont pas discriminants pour les définir comme tels. Rien de plus absurde que d’entendre certains Croates soutenir que leur peuple n’est pas slave, ou certains Russes ou Serbes identifier slavité et orthodoxie : les uns et les autres vont contre l’évidence linguistique. On a beaucoup abusé, dans les deux derniers siècles, de la notion de “réciprocité slave“, ou des théories politiques telles que panslavisme, austroslavisme, yougoslavisme, etc. Les plus criants excès du slavisme politique datent de 1945-48, quand tous les peuples slaves furent, pour peu de temps, réunis sous la férule stalinienne.
Mais il n’en est pas moins vrai que l’appartenance à une même famille de langues est le signe de la communauté d’origine d’une partie au moins de chacun des peuples qui usent de ces idiomes, et cet héritage commun peut parfois se retrouver ailleurs que dans la langue. L’étude des coutumes traditionnelles, des traces de l’ancien paganisme, du folklore, de la poésie populaire, disciplines très développées chez les Slaves depuis deux siècles, permet de déceler chez eux, et plus encore peut-être chez ceux du Sud, des traits qui les apparentent, comme leurs langues elles-mêmes, au grand ensemble indo-européen, et donc au reste de l’Europe. La poésie populaire, épique ou lyrique, le conte, sont restés, jusqu’en plein XX° siècle, des phénomènes bien vivants chez presque tous les Slaves du Sud, comme chez leurs voisins albanais, et conservent de nos jours une pratique et des traits qui furent communs autrefois à toute l’Europe, et qui apparaissent déjà chez Homère. Ce n’est pas sans raison qu’à l’époque romantique ces chants suscitèrent l’enthousiasme de grands écrivains européens comme Goethe, Grimm, Mérimée, Pouchkine…
Lors de leur implantation au sud du Danube, aux VI° et VII° siècle, les Slaves, se mélangeant aux populations latinisées ou hellénisées de l’ancien Empire romain, entrent en contact avec le plus important phénomène de l’histoire culturelle de l’Europe : le christianisme. Dès le IX° siècle, ils sont évangélisés dans leur langue par Cyrille et Méthode. Pour les Slaves du Sud, la religion nouvelle n’est pas alors facteur de division, mais d’unité. Le schisme entre Orient et Occident ne sera consommé que plus tard. Les deux “apôtres slaves“, bien que de culture grecque et venant de Byzance, sont en liaison étroite avec Rome. La liturgie slave qu’ils instaurent a survécu à la fois chez les orthodoxes, Bulgares et Serbes, où elle est toujours en usage, et chez une petite partie des Croates catholiques, qui, dans certaines régions, l’ont conservée jusqu’au concile Vatican II. Les premiers écrivent le slavon d’Eglise dans l’alphabet un peu plus tardif dit improprement “cyrillique“, les seconds avaient sauvegardé les lettres “glagolitiques“ qui, selon toute vraisemblance, sont celles qu’inventa Cyrille. Par le christianisme, les Slaves du Sud participent de valeurs, de croyances et de concepts qui sont communs à la totalité de l’Europe, et à travers cette religion ils héritent aussi de tout le legs culturel du monde gréco-romain. Jusqu’à la conquête turque, rien ne les sépare du reste de l’Europe. Les mouvements religieux dissidents qui se développent chez eux, en marge de l’orthodoxie et du catholicisme : les bogomiles bulgares, et la mystérieuse “Eglise de Bosnie“, ont des traits communs avec les mouvements semblables en Europe occidentale : patarins lombards, cathares languedociens, même si des relations effectives entre eux ne peuvent être prouvées.
C’est après la conquête ottomane, qui submerge les trois quarts des pays slaves du sud entre le XIV° et le XVI° siècle, qu’une partie de leurs habitants se convertissent peu à peu à l’islam, pour des raisons et dans des conditions très controversées. Ces Slaves du Sud musulmans (aujourd’hui un peu plus de 2 millions, surtout en Bosnie) ont créé alors une culture savante qui leur est propre, où l’islam, le Coran, la poésie persane jouent un grand rôle. Certains de leurs poètes, à l’époque ottomane, emploient leur langue maternelle slave, dite “bosnienne“ (bosanski), qu’ils écrivent en caractères arabes, tandis que d’autres s’expriment en turc ou en persan. Mais leur poésie populaire orale reste identique à celle de leurs voisins chrétiens serbes, croates ou bulgares, avec les mêmes genres, les mêmes rythmes et les mêmes thèmes ; seuls changent les noms des héros. Leurs traditions restent marquées par le syncrétisme religieux : certains villageois musulmans fêtent la St Georges. Plus tard, à l’époque contemporaine, les Bosniaques musulmans ont été très marqués par leur environnement européen, sous l’Autriche-Hongrie, puis la Yougoslavie. Dans les années 1990, les réfugiés bosniaques cherchaient plus volontiers asile en Allemagne ou en Suisse, ils étaient fort dépaysés s’ils échouaient au Pakistan.
Cependant, au cours des siècles, l’opposition entre catholicisme et orthodoxie n’avait cessé de se durcir. Il y a désormais deux cultures bien distinctes, occidentale et orientale, mais toutes deux européennes. Du côté catholique, la côte croate de l’Adriatique, de l’Istrie à Dubrovnik et sur tant d’îles, participe pleinement à toutes les étapes de la civilisation de l’Europe occidentale, en liaison constante avec l’Italie. Son architecture porte la trace de tous les styles successifs : byzantin, préroman, roman, gothique, baroque. Sa littérature en langue croate, pratiquée par des auteurs qui souvent écrivent aussi en latin ou en italien, connaît un grand éclat à la Renaissance : la poésie épique avec la Judith de Marko Marulic de Split (1450-1524), l’Osman d’Ivan Gundulic de Dubrovnik (1589-1638), le théâtre avec l’œuvre de Marin Drzic, de Dubrovnik également (1508-1567), et bien d’autres. Plus tard, brièvement, la littérature de la Réforme, et, plus durablement, celle de la Contre-réforme catholique, animée par les jésuites, se développe aussi dans les régions continentales de Croatie et de Slovénie, sous la domination des Habsbourg. Ainsi tous les pays sud-slaves catholiques participent aux courants culturels qui traversent l’Europe méditerranéenne et centrale des mêmes époques.
Au même moment, les pays slaves orthodoxes forment un ensemble culturel unique, que le slaviste italien Riccardo Picchio a appelé la Slavia orthodoxa, où il est fait usage d’une seule et même langue écrite, le slavon d’Eglise. Or cet espace couvre aussi la Russie, il englobe également les pays roumains, qui usent jusqu’au XVII° siècle de cette même langue écrite, et il est en liaison étroite avec la Grèce, avant et après la conquête ottomane : une bonne part des œuvres sont traduites du grec. Cette littératures fait donc participer les lettrés serbes et bulgares à un vaste ensemble européen oriental, auquel leurs peuples se rattachent aussi par la splendeur de l’architecture religieuse et de la peinture d’icônes. A partir du XVIII° siècle l’influence prédominante dans cet espace est celle de la Russie, seul Etat orthodoxe indépendant. Mais à travers l’empire des Habsbourg, où de nombreux Serbes ont trouvé refuge et ont développé des communautés actives et instruites, ce sont les influences d’Europe centrale et occidentale qui pénètrent, comme en témoigne l’œuvre de l’écrivain serbe réformateur Dositej Obradovic (1742-1811), né dans le Banat alors autrichien et familier de toutes les capitales et de toutes les langues de l’Europe.
Au XIX° siècle, tous les pays sud-slaves sans exception sont pris dans un vaste mouvement de la culture européenne, qui les marque très profondément: les “renaissances nationales“, intimement liées au romantisme. Bouleversement philosophique, esthétique et politique à la fois : la pensée de Herder, puis de Fichte revendique l’esprit particulier de chaque peuple contre la raison universelle ; des chercheurs retrouvent ou inventent à chacun un passé glorieux, et peu importe que Grimm relève des textes authentiques tandis que Macpherson invente un faux Ossian ; des rebelles soulèvent les peuples contre l’oppression, depuis l’Allemagne chassant Napoléon jusqu’aux carbonari conspirant contre l’Autriche.
Ce mouvement multiforme trouve un terrain particulièrement propice dans l’Europe du centre et du sud-est, soumise à des maîtres étrangers et dont les traditions et les langues sont méprisées. En ce sens, les Slaves du Sud sont alors les plus européens des Européens. Nulle part on ne trouve une plus grande exaltation de chaque peuple dans son individualité, un plus vaste mouvement de recherche sur ses antécédents historiques et littéraires, et plus de passion politique nationale pour se libérer des oppresseurs, mais aussi pour se démarquer des voisins.
Venue d’Allemagne, la vague nationale gagne tout d’abord les Slaves alors soumis en tout ou en partie à l’Autriche : Slovènes, Croates et Serbes, et un peu plus tard ceux qui sont opprimés seulement par les Turcs : les Bulgares. Politiquement, l’ordre est inverse : les peuples soumis aux Turcs, Serbes et Bulgares, se soulèvent les premiers, au XIX° siècle ; au contraire dans l’empire des Habsbourg, la fermentation nationale reste pacifique jusqu’en 1914. Le cas des Serbes, partagés entre les deux dominations, est particulièrement intéressant. Un même homme, Vuk Karadzic (1787-1864) est à la fois, à Vienne, éditeur infatigable de chansons populaires, grammairien, lexicographe, réformateur de la langue, participant des débats savants, et, en Serbie, dans sa jeunesse, insurgé contre les Turcs, beaucoup plus tard conseiller du prince. Mais ce nom symbolique ne doit pas occulter tous les autres : linguistes, folkloristes, poètes, romanciers, artistes, théoriciens ou acteurs politiques ; Slovènes, Croates, Serbes, Bulgares ; sans oublier les partisans de l’unité des Slaves du Sud, créateurs de l’“idée yougoslave“, comme l’évêque croate Josip Strossmayer (1815-1905). On renoncera à citer d’autres noms, car il y en a trop. On peut dire que toute la vie scientifique, littéraire, artistique et politique de tous les peuples Slaves du Sud est dominée, pendant tout le XIX° siècle et bien au-delà, par ce mouvement de défense et illustration de la spécificité nationale, issu du romantisme européen.
Aujourd’hui, on a tendance à dénoncer le “nationalisme“ comme une dangereuse spécialité balkanique, indigne de l’Europe. C’est oublier que, historiquement, la nation est une invention européenne, que son culte, parti de France et transformé par la pensée allemande, a englobé tout le continent, de la Finlande à la Catalogne, et n’a guère débordé au-delà de ses limites : les mouvements de libération des pays jadis colonisés, ou ceux du monde musulman, n’ont jamais été vraiment fondés sur l’idée de nation. C’est négliger aussi le fait que, au XIX° siècle, les renaissances nationales ont été interprétées par les plus grands esprits européens comme des facteurs de libération et de modernisation, et l’ont été effectivement, au moins au début. Ce n’est pas ici le lieu d’étudier la perversion des nationalismes au XX° siècle. Rappelons seulement que ce phénomène, lui aussi, n’a pas sa source dans les Balkans, mais au cœur même de l’Europe.
Dans les cent cinquante dernières années, depuis leur indépendance (Serbie, Bulgarie) ou leur affirmation nationale dans le cadre de l’Autriche-Hongrie (Croatie, Slovénie), plus tard sous les régimes monarchiques, puis communistes de la Yougoslavie et de la Bulgarie, les pays sud-slaves se sont largement ouverts aux influences venues de l’Europe occidentale. L’instruction s’est généralisée, les villes ont grandi, la vie quotidienne s’est, dans une assez large mesure, occidentalisée, et la production culturelle s’est diversifiée en écho à toutes les tendances de la modernité. Deux grandes capitales européennes, plus que toutes les autres, ont été leurs phares, les lieux où se formaient beaucoup de leurs artistes et de leurs intellectuels : Vienne, fréquentée depuis toujours par les sujets des Habsbourg, et Paris, pour tous pôle de l’art et de la pensée modernes pendant un siècle ; sans préjudice des liens avec l’Allemagne et avec le monde anglo-saxon, terres d’émigration. L’époque communiste n’a pas rompu ces relations, aussi bien dans la Yougoslavie, très ouverte, que dans la Bulgarie moins favorisée, dont l’intelligentsia n’était pas moins avide de contacts. Le naturalisme comme le symbolisme, le surréalisme comme la satire sociale décapante, un marxisme critique, la persistance du grand roman social et historique dans la tradition balzacienne et tolstoïenne, immunisé contre le “réalisme socialiste“ (mais certains, récemment, ont donné dans un réalisme nationaliste qui ne vaut guère mieux) ; enfin la poésie intime sous toutes ses formes, sans cesse renouvelées. Tout cela se retrouve dans la littérature slovène, croate, serbe, bulgare et autre du dernier siècle. Et l’on pourrait en dire autant des autres arts : dans tous, les courants européens contemporains ont trouvé leur écho.
Nous conclurons que l’appartenance des peuples slaves du Sud, dans leur diversité et dans leurs ressemblances, à la culture européenne ne peut faire aucun doute. Deux phénomènes historiques ont provisoirement relâché les liens de ces peuples avec le reste du continent : la domination ottomane, pour la plupart d’entre eux, pendant cinq siècles, et le communisme pour tous pendant cinquante ans. L’héritage de ces deux périodes est pour beaucoup dans les épreuves subies par ces peuples tout récemment. Mais le lien ne s’est jamais brisé ; il est permis d’espérer que le XXI° siècle le verra se renforcer encore.