DAVID SAMIC

Sur le film La voix d’Aida (Quo vadis Aida)

         

sur l’auteur

David Samic
, est né à Paris où il a fait ses études de cinéma. Il est réalisateur et monteur, auteur de plusieurs courts métrages, dont le dernier Le Signal, d’après une nouvelle de Charles Dickens.

 

 

Sur le film La voix d’Aida (Quo vadis Aida)

"La voix d'Aida" est un film dramatique bosnien sorti en 2020 et réalisé par Jasmila Žbanić. Le film retrace les événements tragiques qui se sont déroulés à Srebrenica en juillet 1995, où plus de 8000 Bosniaques, essentiellement des hommes, ont été tués par les forces serbes de Bosnie, commandées par le général Ratko Mladić, malgré la présence de forces de maintien de la paix néerlandaises sur place. Ce triste évènement a été reconnu comme génocide.

Le film suit l'histoire d'une jeune femme, Aida, une traductrice bosniaque qui travaille pour l'ONU et qui tente désespérément de sauver sa famille et d'autres civils bosniaques de l'attaque serbe. À travers les yeux d'Aida, le film tente de nous donner un aperçu du chaos, de la peur et de la confusion qui ont régné à Srebrenica lors des jours qui ont précédé le massacre.

La Voix d'Aida a le mérite de traiter le massacre de Srebrenica avec une bonne interprétation, mais souffre de problèmes de rythme pour relier le destin d'une famille, la lâcheté des Casques Bleus et la barbarie des Serbes et d'écriture pour contextualiser la guerre des Balkans.

Dommage. Après une bonne heure de tension montrant les mécanismes menant au massacre, en nous situant du côté des victimes et à l'intérieur du drame, la réalisatrice ne peut s'empêcher d'en rajouter des couches épaisses larmoyantes, à coups de drame personnel, de rides grossières sur le visage de la protagoniste principale, de danses d'enfant, de plan rapproché, qui ne fonctionne pas. Autre bémol, l'émotion est parfois factice et malgré un budget impressionnant, un écran de fausseté empêche de croire en l'histoire et de s'y émerger. Le huis-clos trop omniprésent du début occulte la dure réalité de l'extérieur. Le scénario n'autorise pas de profondeur dramatique comme "La liste de Schindler" notamment.

On peut être assez d’accord avec un journaliste français qui souligne que le film repose « au final sur une série de caricatures : les pauvres Bosniaques apeurés, les pleutres Casques bleus hollandais et des Serbes bestiaux et cruels ».

Disons aussi que ce film a été inspiré par les mémoires de Hasan Nuhanovic (Sous le drapeau de l’ONU – Pod zastavom UN), l’un des rares survivants du massacre de Srebrenica, qui a été aussi le coscénariste du film de Jasmila Zbanic. La réalisatrice cependant nie en bloc que son fim est basé sur ce témoignage, au demeurant, beaucoup plus touchant que son œuvre. Depuis le conflit survenu entre l’auteur du livre et la réalisatrice, elle avait légèrement modifié le scénario, tout en restant fidèle à l’histoire de Hasan Nuhanovic. En fait, le changement clé a été le remplacement de la vraie personnalité masculine, Hasan Nuhanović, qui était l’interprète à Srebrenica à l’époque du génocide, par un personnage féminin, joué par Jasna Djuricic. Mécontant de la présentation de la réalité, trouvant que les événements ont été apocryphes, Nuhanovic avait quitté le projet et après avoir cessé de travailler sur le scénario, Nuhanović avait interdit à Jasmila Žbanić d'utiliser son nom et son livre dans les informations officielles sur le film, l’ayant en plus attaqué en justice.

Pour conclure, disons que dans l'ensemble, "La voix d'Aida" a le mérite de rappeler l'horreur de Srebrenica. C'est un film pourtant qui passe à côté de ses émotions et de son scénario trop lisse. Un film qui n’illustre malheureusement pas fidèlement l'horreur vécue par les habitants de Srebrenica …